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Mme de Rouèvres demeura quelques instans écrasée sous le coup imprévu de ces rudes paroles. L’orgueil la releva et la soutint.

— Vous-même rassurez-vous, dit-elle avec fierté ; si j’ai cru pouvoir disposer de votre destinée, je ne me reconnais point le droit de vous embarrasser de ma personne. Je ne suis pas venue m’imposer à votre indifférence ni réclamer de votre honneur ce que me refuserait votre amour. Si je me suis trompée, c’est à moi seule de porter la peine de ce que vous avez eu raison d’appeler mon égarement. À ces mots, elle fit quelques pas vers la porte. M. de Peveney courut à elle et la retint. Quelque importun, quelque irritant que soit un amour qu’on ne partage plus, il n’est point d’homme qui se résigne aisément à perdre l’estime du cœur où il a régné, et tel a résisté à toutes les supplications de la tendresse et à toutes les imprécations de la haine, qu’une parole de dédain soumet aussitôt et ramène. D’ailleurs Fernand se jugeait responsable du parti qu’allait prendre Arabelle, et, s’il ne dépendait pas de lui d’agir en amant, tous ses instincts lui faisaient une loi de se conduire en galant homme.

La passion est ainsi faite : humble et fière, superbe et suppliante, aussi prompte à l’espoir qu’au découragement, un regard l’abat et un sourire la relève. Se sentant retenue par M. de Peveney, Mme de Rouèvres crut voir aussitôt les bras d’un amant s’ouvrir avec joie pour la recevoir et l’étreindre.

— Ah ! s’écria-t-elle avec transport, j’ai le secret de ta belle ame. Tu te demandes avec inquiétude si je ne les regretterai pas un jour, ces biens auxquels j’aurai renoncé pour te suivre. Tu crains d’être égoïste en acceptant l’offrande de ma vie tout entière. Que tu sais peu le prix de ton amour !

Elle parla long-temps avec la même exaltation, se retenant ainsi à un dernier rameau d’espérance. M. de Peveney l’avait fait asseoir près de lui ; il comprit, en l’écoutant, que, pour en arriver à ses fins, il devait user de ruse et se garder d’exaspérer cette passion en la heurtant de front. Il n’ignorait pas à quelle ame il avait affaire, ni quels ménagemens il avait à garder pour ne la point mettre aux abois. Il attira donc Arabelle doucement sur son cœur, et commença par l’entretenir avec une affectueuse gravité, tempérant tour à tour, par la tendresse ou par la raison, ce que ses discours pouvaient avoir de trop sévère ou de trop passionné. Arabelle l’écouta d’abord avec une attention inquiète ; mais à peine eut-elle entrevu où Fernand voulait en venir, qu’elle se cabra de nouveau sous le frein. Vainement