Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 8.djvu/1033

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que nous venons de rappeler. Avant ou depuis Leibnitz, avec des procédés, quelquefois même sur des principes différens, toute école qui n’a pas fait divorce avec le sens commun proclame l’existence d’un Dieu, cause première et type invisible des perfections de l’univers, et de celles de l’humanité. Il n’y a pas un philosophe un peu autorisé qui ne tire la preuve certaine d’un géomètre éternel de l’ordre admirable du monde, et l’espérance au moins d’un ordre moral, meilleur que le nôtre, de l’idée de l’ordre gravée en nous et que nous transportons plus ou moins heureusement dans tout ce qui est de nous, dans nos mœurs, dans nos lois, dans nos institutions civiles et politiques. Mais Pascal, qui ne reconnaît aucune morale naturelle, rejette également toute religion naturelle, et n’admet aucune preuve de l’existence de Dieu.

Et qu’on ne dise pas que Pascal repousse seulement-ce qu’on nomme les preuves métaphysiques. Il est bien vrai qu’il trouve cette espèce de preuves subtiles et raffinées ; mais il n’est pas vrai qu’il en approuve aucune autre, et qu’il fasse grace aux preuves physiques si simple et si évidentes : celles-là même, il les renvoie dédaigneusement comme tournant contre leur but, de sorte que la conclusion définitive est que l’homme par les lumières naturelles ne peut en aucune manière s’élever certainement à la divine Providence.

Mais peut-être Pascal n’a-t-il voulu dire autre chose, sinon que l’homme est incapable de pénétrer les profondeurs de l’essence divine, et qu’à ces hauteurs il se rencontre plus d’un nuage que la foi chrétienne peut seule dissiper. Vaine explication ! Pascal déclare hautement que l’homme ne peut savoir ni quel est Dieu, ni même s’il est. Ce sont là les termes mêmes de Pascal que nous avons retrouvés.

Et quel est le fondement de ce hautain athéisme ? Pascal a-t-il donc fait la triste découverte de quelque argument ignoré jusqu’ici, et dont la toute-puissance inattendue impose silence à la voix unanime du genre humain, au cri du cœur, à l’autorité des plus sublimes et des plus solides génies ? Non : il s’appuie négligemment sur ce lieu commun du scepticisme, que l’homme, n’étant qu’une partie, ne peut connaître le tout, comme si, sans connaître le tout, une partie douée d’intelligence ne pouvait comprendre et sentir qu’elle ne s’est pas faite elle-même ; et encore sur cet autre lieu commun, que, Dieu étant infini et l’homme étant fini, il ne peut y avoir de rapport entre eux ; comme si l’homme, tout fini qu’il est, ne possédait pas incontestablement l’idée de l’infini, comme si Pascal n’avait pas établi par la lumière naturelle qu’il y a deux sortes d’infini, l’un de grandeur et l’autre de