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et indéfectible de la matière vivante, et devant être plus tard considérée comme la somme ou le fond de toutes les opérations intellectuelles, la différence du plus vulgaire phénomène de l’organisme à l’acte le plus rare de l’intelligence ou de la volonté n’est qu’une différence de plus ou de moins, et rien d’essentiel ne distingue la formation d’un ongle qui repousse, de la découverte du calcul infinitésimal.

À ce système, la sensibilité perdra la possession d’un organe exclusif, et le sentiment celle d’un centre exclusif dans cet organe. La pensée et la volonté elles-mêmes se trouveront rejetées dans la dépendance, sous l’action immédiate et, peu s’en faut, créatrice, sous la toute-puissance enfin d’organes qu’on a rarement destinés à tant d’honneur. Grace à l’emploi déréglé des métaphores, on fera des viscères inférieurs la source, si ce n’est le siége des déterminations, que le grossier vulgaire attribuait à l’intelligence et à la volonté, et que l’esprit éclairé et sublime du philosophe imputera à la poitrine ou, à l’abdomen. Il y aura « des affections morales et des idées qui dépendront particulièrement des impressions internes ; des dérangemens plus ou moins, graves dans les viscères agiront d’une manière immédiate sur la faculté de penser ; les organes de la digestion ou d’autres seront évidemment source de certaines déterminations ; le concours des viscères abdominaux sera nécessaire à la formation régulière de la pensée. Les idées et les affections morales se formeront en effet par le concours des impressions qui seront propres aux organes internes les plus sensibles. Dans certains cas pathologiques, ce sera une humeur organique qui donnera une ame nouvelle aux impressions, aux déterminations, aux mouvemens ; l’énergie ou la faiblesse de l’ame, l’élévation du génie, l’abondance ou l’éclat des idées dépendront uniquement et directement de l’état où se trouveront certains organes du bas-ventre ; ceux-ci exerceront un empire étendu sur l’énergie et l’activité de l’organe pensant, et leur énergie sera le principe fécond des plus grandes pensées, des sentimens les plus élevés et les plus généreux. »

Cette dissémination des sources ou des causes génératrices de la pensée, ou du moins de ses facteurs organiques, est assurément une grosse nouveauté en métaphysique, et me semble même un abus du matérialisme en physiologie. Elle nous conduit bien loin des recherches de ces naturalistes qui s’efforçaient de découvrir dans un point du cerveau le sensorium commune, et la phrénologie elle-même, en localisant dans les diverses régions de la masse intracranienne les fonctions, est loin de tomber dans une absence du sentiment