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aux grands pouvoirs de l’état, en montrant que les plus hautes ambitions trouvaient aussi une dernière et douce sanction dans cette récompense littéraire. Qu’on s’en souvienne, l’Académie vit surtout de traditions, et en tout temps il y a eu, comme on disait au dernier siècle, quelques chapeaux sur les fauteuils. Respectons donc la légitime part des chapeaux, pourvu que sous ces chapeaux il y ait au moins une grammaire française. Nous devenons exigeans.

Au surplus, il y a long-temps que les critiques, pour ne plus parler que d’eux, ont des places de réserve à l’Académie, et c’est justice. Dans une compagnie appelée avant tout à maintenir le goût et l’autorité des choses littéraires, il serait en effet plaisant que les écrivains qui passent précisément leur vie à faire, en toute liberté et individuellement, ce que l’Académie en corps essaie de faire avec plus de réserve, fussent ceux précisément sur lesquels porterait l’exclusion. Quand on professe, comme l’auteur des Orientales, cette théorie, que la postérité a seule le droit de contrôle sur le génie, qu’on ne doit corriger les défauts d’un livre que dans un autre livre, et que le poète enfin ne relève pas de la juridiction des contemporains, on n’est guère disposé, ce semble, à croire au droit qu’a la critique d’être représentée dans cette espèce d’Élysée gigantesque et béat, entre ces quarante colosses aux idées pures, qui, suivant l’optique toujours disproportionnée et cyclopéenne de M. Victor Hugo, forment à l’heure qu’il est ce que les vulgaires mortels appellent l’Académie française. De là l’étonnement qui, dans le solennel et récent discours de M. Hugo, s’étalait naïvement, tout en croyant se cacher : c’est l’enfant qui s’imagine qu’on ne le voit pas parce qu’il a mis la main devant ses yeux. Évidemment le chantre d’Olympio trouve que l’on déroge en donnant l’habit vert aux critiques. On entend bien qu’il s’agit des critiques indépendans. Voilà, dégagée de la splendeur des métaphores, la pensée réelle, la pensée fondamentale de la harangue que nous avons entendue à la dernière séance académique. Le malheur est qu’il suffit de jeter les yeux sur les plus récentes listes de l’Institut pour se convaincre que la doctrine implicitement contenue dans les éblouissantes antithèses du poète n’est nullement partagée par ses confrères. Hier, n’était-ce pas le tour de M. Sainte-Beuve et de M. Saint-Marc Girardin ? Ajoutons que ce pourrait bien être demain celui de M. Nisard, de M. Chasles, de M. Magnin ou de quelque autre pareil. M. Victor Hugo en doit prendre son parti royalement, les royautés littéraires ont leurs traversées tout comme les royautés politiques. Que voulez-vous ? c’est la destinée des malheureux monarques constitutionnels