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elle prétend exercer partout son contrôle. Respectueuse pour les intérêts et le droit privés, elle les tient pourtant en surveillance et parfois même en tutelle. Un système d’impôt sévèrement exercé la fait pénétrer dans toutes les fortunes ; l’enseignement, dont elle s’est attribué le monopole, lui ouvre les portes des familles et souvent même celles des consciences. Ainsi, idées morales et intérêts matériels, rien ne lui échappe ; mais en même temps tout porte et tout repose sur elle. C’est sur elle que d’un bout des deux cents lieues carrées de notre sol jusqu’à l’autre, chacune de nos trente mille communes et presque chacun de nos trente-trois millions de citoyens tiennent incessamment les yeux fixés, c’est d’elle que doit partir le signal de tous les mouvemens ; mais c’est à elle, en revanche, que tous les membres de ce corps social s’en prennent du moindre mal qui les atteint dans leurs extrémités les plus reculées. Sa charge est en proportion de son empire : elle maîtrise tout et répond de tout.

De quel poids un tel pouvoir accable ceux qui sont chargés de l’exercer, c’est aux hommes qui l’ont porté en France à nous le dire. C’est eux qui peuvent nous apprendre avec quel sentiment d’angoisse on se réveille chaque matin en voyant que non-seulement les grands intérêts du pays, mais les moindres intérêts du moindre citoyen (beaucoup moins patiens en général et beaucoup plus âpres), sont déjà à la porte qui vous attendent et vous disputent un quart d’heure de sommeil et de loisir. C’est à eux de nous apprendre dans quel labyrinthe de détails, au travers de quels conflits de tracasseries et d’inimitiés s’écoulent les laborieux momens d’un dépositaire suprême du pouvoir exécutif en France. Et quand à ces soucis de tous les jours, sans cesse renaissans, se joignent les invectives quotidiennes de la presse, l’inquiétude d’une situation politique à ménager, c’est alors réellement que la vie ne suffit plus pour renouveler les forces qui s’épuisent, pour retremper le talent qui s’use dans ce frottement de tous les jours, et surtout la popularité qui s’y perd. Et encore tous ceux dont jusqu’ici les confidences pourraient nous révéler ces secrètes douleurs n’ont-ils exercé le pouvoir exécutif qu’à l’abri du pouvoir royal, couverts par sa grandeur, participant un peu de son inviolabilité, recevant quelques inspirations de cette force qu’inspirent l’habitude native du commandement et le sentiment énergique de la perpétuité et de la famille.

Mais ce que personne ne nous dira, parce que l’épreuve n’en a point encore été faite d’aucun pays du monde, c’est ce que deviendra un pareil pouvoir entre les mains d’un président de république sorti hier de la foule, prêt à y rentrer demain, organe avoué d’un parti, ennemi naturel, par conséquent et victime dévouée de tous les autres, n’ayant devant lui que quatre ans d’un pouvoir éphémère ; traqué, sur tous les points du territoire, par une myriade d’oppositions sourdes et