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nous donner quelques détails sur l’organisation de la troupe qui va entreprendre, sous sa direction, ce long pèlerinage.

« Dans le Sahara, nous nommons khrebir le conducteur d’une caravane, car ces flottes du désert ne se hasardent point sans chef, ainsi que vous le croyez, tous autres chrétiens, sur notre mer de sable, qui, comme l’autre, a sa houle, ses tempêtes et ses écueils. Chacune d’elles obéit passivement au maître qu’elle s’est donné ; il a sous lui des chaous pour exécuter ses ordres, des chouafs (voyans) pour éclairer le pays, un écrivain pour présider aux transactions…, un crieur public pour faire les annonces, un moudden pour appeler à la prière, un iman enfin pour prier au nom des fidèles.

« Le khrebir est toujours un homme d’une intelligence, d’une bravoure et d’une adresse éprouvées : il sait s’orienter par les étoiles ; il connaît, par l’expérience des voyages précédens, les chemins, les puits et les pâturages, les dangers de certains passages et les moyens de les éviter, tous les chefs dont il faut traverser le territoire, l’hygiène à suivre selon les pays, les remèdes contre les maladies, les fractures, la morsure des serpens et les piqûres du scorpion. Dans ces vastes solitudes où rien ne semble indiquer la route, où les sables souvent agités ne gardent pas toujours les traces du voyageur, le khrebir a pour se diriger mille points de repère : la nuit, si pas une étoile ne luit au ciel, à la simple inspection d ! une poignée d’herbe ou de terre qu’il étudie des doigts, qu’il flaire et qu’il goûte, il devine où l’on est, sans jamais s’égarer. »

Tel doit être le khrebir d’une caravane, tel est Cheggueun. La caravane peut se confier à lui, il est marié trois fois : — dans le Touat, à Insalah, — chez les redoutables Touareng, comme à Mételli, à l’autre extrémité de la route. Il est jeune, grand et fort : c’est un maître du bras ; son œil commande le respect, et sa parole prend le cœur ; mais si dans la tente sa langue est douce, en route il ne parle qu’au besoin et ne rit jamais. Allons, hardis compagnons, laissez-vous entraîner par les récits de Cheggueun ; croyez-le lorsqu’il vous dit : « Le Soudan est le plus riche pays du monde ; un esclave n’y vaut qu’un burnous ; l’or s’y donne au poids de l’argent ; les peaux de buffle et de bouc, les dépouilles d’autruche, le sayes[1] et l’ivoire s’y vendent au plus bas prix ; les marchandises des caravanes y centuplent de valeur. Vous êtes des fous, ô mes enfans, de vous arrêter à Timi-moun[2], beau voyage, long comme de mon nez à mon oreille ! Voulez-vous être riches ? allons au pays des Nègres. Souvenez-vous que le prophète a dit :

« La gale (des chameaux), son remède est le goudron, « Comme la pauvreté, son remède est le Soudan. »

Comment résister à l’amour des aventures, à l’appât des richesses ? Malgré tous les dangers inconnus, la caravane s’organise, et chacun

  1. Etoffe de cotonnade fabriquée par les Nègres.
  2. Ville et marché du Touat, à trois cent quatre-vingts lieues de la côte.