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sur leur origine. Partout où ils s’établissent, en si petit nombre qu’ils soient, ils refont à leur image la population qui les entoure.

Dans ses comparaisons entre les États-Unis et l’Europe, M. Carey s’obstine à ne parler jamais que du Massachusetts, qui équivaut, en étendue et en population, à la Seine-Inférieure ou au Pas-de-calais, et qui est des états de la Nouvelle-Angleterre le plus avancé en civilisation et en richesse. C’est donner une population de huit cent mille ames comme l’image fidèle d’une population de vingt-deux millions. La Nouvelle-Angleterre ne donne pas l’idée de ce qu’est aujourd’hui le peuple américain, mais de ce qu’il sera un jour ; elle ne représente pas, sous le rapport intellectuel et moral, la situation actuelle des États-Unis, mais celle vers laquelle ils tendent. N’en déplaise à M. Carey, la portion du peuple américain qui ressemble le plus au peuple anglais, c’est la population de la Nouvelle-Angleterre ; la ville la plus anglaise des États-Unis, c’est Boston.

Ce qui fait la valeur toute spéciale de cette Nouvelle-Angleterre, c’est qu’elle réunit les qualités de deux âges différens : c’est une société vieille et jeune à la fois. Deux siècles et plus se sont écoulés depuis que les premiers puritains ont mis le pied sur la terre américaine, depuis qu’ils se sont donné une organisation régulière. C’est donc une société bien assise, qui a sur le reste de l’Union américaine tous les avantages que l’expérience, les efforts, les sacrifices accumulés de plusieurs générations assurent aux vieilles sociétés sur les sociétés naissantes. La Nouvelle-Angleterre, en relations de tous les jours avec l’Europe, n’a point eu d’apprentissage à faire, parce que ses fondateurs appartenaient à la portion du peuple anglais qui avait le plus de lumières et de valeur morale : sa pauvreté seule l’a empêchée de se tenir toujours au niveau de l’Europe. En même temps, sa population s’est multipliée sans mélange, et, sous l’empire des mêmes influences morales, elle a conservé la sève primitive ; elle a toute l’ardeur et toute l’énergie de la jeunesse.

M. de Tocqueville et quelques autres écrivains ont pensé que l’Amérique n’était pas destinée, d’ici long-temps du moins, à avoir une littérature, parce que le développement des lettres suppose chez un peuple l’existence d’une classe oisive et par conséquent des richesses accumulées ; si le talent se rencontre dans toutes les conditions, le goût et le loisir des jouissances littéraires exigent une éducation antérieure et une aisance acquise ; là où il n’y a point encore de lecteurs, il est difficile que des écrivains se produisent. On oubliait la Nouvelle-Angleterre, où toutes conditions devaient se trouver réunies plus facilement qu’en aucun point des États-Unis. La Nouvelle-Angleterre est assez vieille pour qu’il y existe des fortunes héréditaires, des gens de loisir, des hommes affranchis des soucis quotidiens, et qui peuvent