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s’abandonner au Seigneur. L’unique communion, c’est celle du croyant qui participe réellement à la nature divine en restant absorbé en Dieu. L’unique culte, c’est le recueillement qui fait silence pour laisser parler la voix intérieure. Enfin, le seul sacerdoce est l’inspiration du fidèle, ignorant ou instruit, femme ou homme, qui répète ce qui lui a été communiqué par l’esprit. En conséquence, les quakers rejettent tous sacremens, tous rites, tout sacerdoce régulier. Ils n’ont point d’enseignement théologique, point de noviciat obligatoire pour leurs ministres. Dans leurs lieux de réunion, rien ne rappelle un temple. On n’y voit que des bancs et des tribunes. Quand ils s’assemblent, c’est pour se recueillir en commun. Si l’un des assistans se sent inspiré, il se lève et prononce une prière ou une exhortation, suivant ce qui lui est ouvert. Parfois, tout le temps du meeting se passe sans que le silence ait été interrompu, et un des membres de la congrégation donne en se levant le signal du départ.

Jusque-là le quakérisme ne fait qu’appliquer son hypothèse mystique. Il a admis une divinité intérieure qui était seule capable de sanctifier et d’éclairer, et il s’en rapporte exclusivement à elle. Au début de son apostolat, Fox n’était pas allé plus loin. Si lui et ses disciples s’en étaient tenus là, probablement il fût advenu d’eux ce qu’il était advenu des anciens mystiques, qui tous s’étaient perdus les uns après les autres en persistant à soutenir que les mouvemens intérieurs ne pouvaient égarer. La grande, la profonde différence entre les quakers et leurs devanciers, c’est qu’ils furent capables d’apprendre. Ainsi, à l’égard du sacerdoce, l’expérience les amena presque dès le principe à une importante concession. Tout en continuant à laisser à Dieu seul le soin de leur préparer des ministres compétens, ils se chargèrent eux-mêmes d’éloigner du ministère le fanatisme, et l’ignorance. La règle qu’ils établirent pour cela subsiste encore. Si tout fidèle est libre d’obéir à l’esprit qui le sollicite à parler, tout fidèle, quand il a pris deux fois la parole, ne peut plus se faire entendre à l’avenir sans avoir été préalablement approuvé par une assemblée disciplinaire. En réalité, la société a donc ses ministres autorisés, seulement ils ne sont ni salariés ni obligés à prêcher régulièrement, et ils ne doivent préparer à l’avance aucun sermon.

Ce n’est pas là le seul point sur lequel la nécessité a fait reconnaître en partie ses droits, tant s’en faut. Quoique Fox sût infailliblement que la lumière intérieure ne pouvait tromper personne, et que, pour anéantir à jamais le mal et l’erreur, il suffisait d’enlever aux hommes, tout appui, tout guide, tout enseignement humain[1], Fox lui-même

  1. Luther avait commencé par partager absolument toutes ces illusions. Il est bon de ne pas l’oublier, pour ne point attribuer à une extravagance individuelle ce qui est en réalité la conséquence d’une hypothèse fort générale et presque commune à tous les penseurs dont nous respectons le plus la raison. Voici, en propres termes, ce que le réformateur pensait de la foi qui vient de la grace, de celle où l’on arrive en désespérant de soi et de tous les docteurs ; c’est son Traité sur la liberté du chrétien que je cite « La foi unit l’ame avec Christ ; tout ce que Christ possède devient sa propriété à elle, tout ce qu’elle a devient la propriété du Christ. Oh ! bienheureuse union ! l’ame est délivrée de tout péché et revêtue de la justice éternelle de son époux. Le chrétien est libre de toute chose, au-dessus de toute chose, la foi lui donnant tout abondamment. »