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leur sont venus en foule ; depuis plusieurs années, presque toute la jeunesse des universités appartient à ces deux maîtres. Quand le bouleversement de l’Europe a commencé, on comprend que l’esprit révolutionnaire ait déchaîné sans peine ces cupidités impatientes et que la chair en délire ait poussé par des milliers de voix des cris épouvantables : pecudesque locutœ. Cependant les chefs se taisent ; M. Feuerbach n’a pas publié une ligne depuis deux ans ; on ne l’a pas vu s’adresser au suffrage universel et ambitionner une place au parlement de Francfort ou dans les assemblées de la Bavière. Ces révolutions qu’il a préparées, il n’a pas manifesté le désir d’y prendre part, de les diriger à sa manière, de les modérer ou de les affermir : il s’est retiré à l’écart, il s’est réfugié dans le silence. Et M. Stirner, qu’est-il devenu ? Pourquoi a-t-il interrompu brusquement l’exposition de sa politique et de sa morale ? « Meure le peuple ! s’était écrié le tribun de l’égoïsme, meure le peuple, pourvu que l’individu soit libre ! Meure l’Allemagne, meurent toutes les nations européennes, et que, débarrassé de tous ses liens, délivré des derniers fantômes de la religion, l’homme recouvre enfin sa pleine indépendance ! » En parlant ainsi, M. Stirner avait exprimé avec une franchise brutale ce que l’hypocrisie révolutionnaire dissimule sous ses déclamations ; il proclamait sans phrases l’idéal de la démagogie. Pourquoi donc, depuis deux années, ce silence opiniâtre ? M. Stirner ne s’était-il pas donné la tâche de démasquer les tribuns, de proclamer tout haut ce que ceux-ci pensent tout bas ? N’y a-t-il donc plus de tartufes qui cachent sous les mots de révolution et de patrie leurs appétits sensuels ? Ou bien, au contraire, effrayé peut-être de voir se lever à son appel tant de disciples furieux qui vouent des millions d’hommes à l’échafaud, M. Stirner a-t-il compris qu’il n’était pas permis de jouer avec les idées, et qu’en cherchant les bénéfices du scandale il avait trop compté sur la débonnaireté de son temps et de son pays ? On assure que M. Stirner est un homme doux, paisible, studieux, et que son livre est l’œuvre d’une pensée solitaire ; si M. Stirner a profité, comme je voudrais le croire, de l’expérience de ces deux années, il ne doit pas garder pour lui-même le fruit de cette rude leçon. Quoi qu’il pense enfin, il ne peut rester neutre. Amis ou adversaires, tous ceux qu’il a poussés au mal et tous ceux qu’il a indignés ont droit de lui demander compte de son silence et de provoquer sa confession.

Cette confession, un des plus célèbres révolutionnaires de la philosophie allemande, M. le docteur Strauss, a jugé convenable de la faire, et il s’en est acquitté avec une franchise très méritoire. On sait que M. Strauss, engagé l’un des premiers dans les routes fatales de la jeune école hégélienne, a été bientôt laissé en chemin par des tribuns plus résolus. Girondin au milieu des montagnards, intelligence mesurée et sereine au milieu des cœurs violens et des esprits troublés, il n’en était pas moins, aux yeux de la foule, le représentant des folies qu’il condamnait.