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Son livre de la Vie de Jésus, par l’éclat d’un scandale inoui, l’avait désigné à la colère des uns, à l’épouvante des autres ; il était, bien plus que M. Feuerbach ou M. Stirner, le bouc émissaire chargé des iniquités de l’école. Or, en avril 1848, M. Strauss, candidat au parlement de Francfort, se présenta devant les réunions électorales du Wurtemberg ; il parcourut ce beau pays de la Souabe, ce pays des poètes et des philosophes, décrit par lui avec tant de grace dans son pèlerinage auprès de Justinus Kerner. Le grand destructeur de mythes, comme il s’appelle quelque part, allait être soumis à la critique du peuple. Suivons-le, non pas à Stuttgart, à Heilbronn ; à Ludwigsbourg ; ce qui nous intéresse dans le voyage de M. Strauss, ce sont ses visites aux paysans. M. Strauss parlant à une assemblée de paysans, aux laboureurs de Steinheim, aux vignerons de Markgroningen ; les raffinemens chicaniers de l’exégèse en face de la simplicité de la nature ! ce rapprochement dit tout. M. Strauss rencontrait là en effet des croyances chrétiennes, une foi solide et entière, et il apparaissait comme une sorte d’antéchrist à des imaginations naïves que son nom seul effarouchait. Quelle occasion plus piquante pour le trop célèbre novateur ! Cette occasion, il l’a recherchée, j’en suis sûr, non par amour du scandale, mais au contraire pour faire clairement concevoir le but de sa conduite antérieure et l’attitude nouvelle qu’il voulait prendre. M. Strauss, si abstrait, si hérissé de formules barbares dans sa Vie de Jésus, est devenu depuis quelques années un écrivain plein de clarté et d’élégance. Cette vocation littéraire, poétique même, dont il fut détourné par le démon de la curiosité philosophique, a reparti peu à peu et porte déjà ses fruits. Le théologien, chez M. Strauss, a terminé son œuvre ; un littérateur commence qui, sur bien des points, je n’en doute pas, corrigera l’influence funeste du théologien. Déjà, dans ses Deux Feuilles pacifiques, dans sa visite à Justinus Kerner, dans son brillant et ingénieux pamphlet contre le romantisme de Frédéric-Guillaume IV, M. Strauss avait défendu, dans la forme la plus accessible à tous, les principes d’une philosophie morale presque toujours sans reproche. Un piquant mélange de simplicité et de finesse était le caractère de ses écrits. On voyait un homme effrayé du bruit qu’il a fait, attristé des scandales qu’il a causés, et cherchant à s’expliquer avec sa conscience dans un langage rempli de sincérité, de modération et de charme. C’est là ce qu’il a été, et avec plus de précision encore, le jour où il se justifiait devant les paysans de sa terre natale[1]. « Me voici, disait-il ; je suis ce docteur Strauss que la plupart d’entre vous se sont représenté jusqu’ici comme l’antéchrist en personne. Je ne puis pas vous en vouloir ; c’est ainsi que je vous ai été dépeint, et

  1. Sechs theologisch-politische Volksreden, von Friedrich Strauss. Stuttgart, 1848.