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vouloir encore le favoriser. Engagé dans une lutte corps à corps avec le navire que montait le commandant chilien, Blanchet était parvenu, par la supériorité de son artillerie, à lui causer des avaries qui allaient lui permettre de tenter l’abordage, quand il tomba frappé à mort. Découragé par la perte de son chef, l’équipage suspendit le combat ; les deux navires se séparèrent, en se contentant de s’observer mutuellement et sans recommencer leur feu. Les corsaires péruviens rentrèrent au Callao ; mais la mort de Blanchet les avait désorganisés. La discorde se mit parmi ces hommes de nations, de langages différens, que la cupidité avait pu seule réunir un instant ; il fallut désarmer les navires qu’ils montaient.

C’était un échec pour Santa-Cruz. Les Chiliens demeuraient maîtres de la mer, et il n’avait plus aucun moyen de les attaquer. Il se résolut enfin à quitter Lima et à marcher sur Bulnes, qui était resté à Huaras. Les forces du protecteur étaient bien supérieures à celles de son ennemi, et tout semblait annoncer que cette fois il allait l’écraser ; mais la trahison était depuis long-temps dans le camp péruvien. Les deux armées se rencontrèrent près du petit village de Yungay (20 janvier 1839), lieu devenu célèbre, car de la bataille qui y fut livrée datent la ruine du gouvernement protectoral et la chute du général Santa-Cruz. Celui-ci, au reste, ne fit pas preuve pendant l’action du courage et du sang-froid qu’il aurait dû montrer. Trahi d’ailleurs par ses lieutenans, il fut complètement défait, et, abandonnant les débris de son armée, il courut à Lima porter lui-même la nouvelle de son désastre, en demandant de nouveaux secours. Des trois états qui composaient la confédération, le Nord-Pérou, comme je l’ai dit, lui était le moins favorable, et il fallait que Santa-Cruz se fît une étrange illusion pour compter sur son appui après la défaite qu’il venait d’essuyer. Les agitateurs qu’il avait comprimés un instant ne virent dans sa chute prochaine que l’occasion de se montrer de nouveau, de s’emparer de la scène politique, de dominer à leur tour. Plusieurs aussi étaient d’accord avec les Chiliens ; aucun ne pensa à les repousser. Ils affectèrent même de voir en eux non des ennemis qui envahissaient leur territoire, mais des alliés qui venaient les délivrer des Boliviens. On put prévoir que le Pérou célébrerait un jour l’anniversaire de la bataille de Yungay comme une victoire.

Ne pouvant rien obtenir de Lima, Santa-Cruz se rendit à Aréquipa, où il avait laissé un corps de réserve. Il savait le sud mieux disposé pour lui que le nord, et, avec l’appui des provinces méridionales, il se flattait de rétablir bientôt ses affaires. Il allait en effet se voir à la tête d’une nouvelle armée : le Pérou méridional avait conservé toutes ses ressources, et, si les habitans de ces provinces étaient réellement