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détournés du livre pour regarder Annunciata ; deux grosses larmes s’échappaient de ses paupières.

M. Van Amberg, assis au chevet du lit de sa femme, avait la tête baissée sur une de ses mains. Nul ne pouvait voir l’expression de son visage.

Christine poussa un cri déchirant, et, s’élançant vers Mme Van Amberg, qui la reçut dans ses bras :

— Ma mère ! lui dit-elle le visage appuyé sur celui d’Annunciata, c’est moi qui vous ai tuée ! Vous avez fait pour l’amour de moi plus que vous ne pouviez faire !

— Non, mon enfant bien-aimée, non, répondit Annunciata en baisant sa fille à chaque parole, je meurs d’un mal bien ancien et depuis long-temps sans remède. Je suis heureuse de te voir une dernière fois.

— Et l’on ne m’a pas appelée pour vous soigner avec mes sœurs ! s’écria Christine en se relevant, et l’on m’a caché votre maladie ! on m’a laissé pleurer pour d’autres douleurs que pour les vôtres, ma mère !

— Chère enfant, reprit doucement Annunciata, cette crise a été bien subite ; il y a deux heures, on ignorait encore le danger qui me menaçait ; moi-même j’ai demandé à accomplir mes devoirs religieux avant qu’on t’appelât. Je voulais être toute à la pensée de Dieu. Maintenant je puis me livrer aux embrassemens de mes chers enfans. Et Mme Van Amberg serra à la fois sur son cœur ses trois filles, qui la couvraient de leurs larmes.

— Chères filles, leur dit-elle, Dieu est plein de miséricorde pour ceux qui meurent, et il rend saintes toutes les bénédictions des mères pour leurs enfans. Je vous bénis, mes filles ; souvenez-vous de moi et priez toutes pour moi.

Les trois jeunes filles inclinèrent leurs têtes sous la main de leur mère, et leurs larmes seules répondirent à ce suprême adieu.

— Mon bon frère, reprit Annunciata en se penchant vers Guillaume, qui arrêtait sur elle un regard paternel plein de douleur et d’affection, mon bon frère, nous avons long-temps vécu ensemble et vous avez toujours été pour moi un ami dévoué, indulgent et doux ; je vous remercie, mon frère.

Guillaume tourna la tête pour cacher les efforts qu’il faisait pour contenir ses larmes ; mais ce fut en vain : un sanglot s’échappa de ses lèvres en même temps que sa respiration, et, renonçant alors à l’apparence d’une fermeté qu’il n’avait pas, il dit à Annunciata, en lui montrant sa vénérable figure toute mouillée de pleurs :

— Ne me remerciez pas, ma sœur, j’ai fait peu de chose pour vous. Je n’ai guère égayé votre solitude, mais enfin je vous ai aimée, cela est sûr ! J’espère, ma sœur, que vous vivrez encore.