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la race anglo-saxonne. D’autres nations peuvent être plus bruyantes et plus brillantes que l’Angleterre et les États-Unis, elles peuvent avoir plus de gloire extérieure ; mais aucune, si on y regarde de près, ne peut être considérée comme aussi nécessaire que ces deux peuples. La race anglo-saxonne est un des rouages les plus importans de la grande machine politique de l’univers ; sans elle périraient ou seraient abandonnés au mépris de l’avenir quelques-uns des faits les plus importans de l’histoire et quelques-unes des notions morales les plus nécessaires de l’humanité. Sans l’Angleterre et l’Amérique, le protestantisme n’existerait plus. S’il n’avait eu d’autre soutien que l’Allemagne, nous le verrions à l’heure qu’il est expirer dans le délire, blasphémer contre lui-même après s’être souillé des plus immorales doctrines, et rendre son dernier souffle au milieu des rires mérités des peuples. Sans l’exemple donné par l’Angleterre, la révolution française serait non-seulement anathématisée, mais abandonnée ; ses principes ne seraient même pas mis en question, et ils seraient laissés de côté comme des bizarreries sans raison et des extravagances. Sans l’Angleterre, l’Amérique, à peine découverte, serait retombée dans la barbarie où elle était plongée avant que les vaisseaux espagnols eussent touché ses rivages ; c’est elle qui a fait que la découverte glorieuse de Colomb n’a pas été inutile, a pu être tenue pour un grand fait humain, pour un service rendu à l’ordre moral et non pas seulement pour une découverte de l’ordre scientifique et cosmologique. C’est elle qui empêche encore aujourd’hui les nations de se précipiter les unes sur les autres et de se dévorer, qui maintient l’équilibre du continent de crainte d’avoir à se mesurer avec un adversaire trop redoutable. Ainsi son égoïsme même n’est pas inutile, car il protège notre repos. C’est elle qui contrarie les projets de l’Europe orientale et dit aux races slaves : « Vous n’irez pas plus loin. » Quelle race ! -quelle destinée ! Sa force et le fondement de sa puissance, c’est qu’elle est absolument nécessaire dans l’ordre du monde. Écartons de notre esprit toute préoccupation nationale, toute vanité patriotique ; bien des nations pourraient disparaître, en apparence plus importantes, plus directement intéressées au maintien de la civilisation moderne, dont la mort n’aurait pas les résultats terribles de la disparition de la solitaire, égoïste et indépendante Angleterre.

Si la race saxonne a une telle importance dans l’ordre purement politique, si elle apparaît comme la protectrice intéressée de la civilisation actuelle après en avoir été en grande partie la promotrice, elle le doit à son caractère, le plus original des temps modernes, le plus natif, celui où les traditions des mondes évanouis ont le moins laissé de traces, qu’ont le moins altéré les influences contraires et les imitations classiques. Comment essayer d’esquisser cet étrange caractère où