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Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/1036

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semblent s’être confondus l’esprit des Hébreux, l’ame de Carthage et la force morale des Romains, et qui n’est pourtant ni hébraïque, ni romain, ni punique ? Ne cherchez pas dans cette race l’unité de génie, le bel assortiment de qualités brillantes qui, comme des fleurs assemblées en un bouquet composé avec art, forme le caractère charmant des races latines, ni ce feu vif et clair de l’ame des races celtiques qui sait polir les vices les plus monstrueux, amoindrir les instincts féroces et atténuer les travers de l’esprit au point de rendre désirables ces vices et ces travers ! Le caractère anglo-saxon n’a rien de cette unité ; il est plein de hardis contrastes, de qualités fortement accentuées. Les parties défectueuses de ce caractère sont repoussantes, les parties élevées sont d’une solidité à toute épreuve, mais sans attrait. Perfide sans mensonge, loyale par devoir, c’est-à-dire par nécessité et non par honneur comme chez nous, humaine et exterminatrice, impitoyable comme la fatalité et pourtant illogique comme la fortune et les vicissitudes du monde d’ici-bas, la race anglo-saxonne vit de contradictions, et de ces contradictions naît le génie pratique qui la distingue. Elle est pleine de respect pour la vie humaine, mais elle sacrifie sans remords des générations entières au succès de ses entreprises ; elle a voulu, par exemple, être industrielle et exclusivement industrielle, et rien ne l’a arrêtée, ni la crainte du désordre, ni la misère des populations ; elle a voulu coloniser, et partout où elle a planté son drapeau, les populations conquises ont disparu absorbées par elle, expulsées ou massacrées. Demandez aux restes mutilés des Indiens, aux derniers sauvages de l’Australie, aux débris lamentables de l’Irlande. Un point curieux à noter dans le caractère anglo-saxon, c’est son peu de penchant à la volupté. Jamais cette race n’a compris le plaisir ; la plus légère irritation des sens touche chez elle à la fureur, le moindre penchant à la sensualité va immédiatement jusqu’à la débauche. Elle n’a jamais compris non plus le luxe, cet autre penchant artistique si voisin de la volupté ; elle a inventé le comfort. Elle n’a jamais aimé, comme nous par exemple, l’égalité dans la médiocrité des conditions ; elle préférerait la pauvreté à cette mesquine sécurité et à ce maigre repos. Tout ce qui confère la puissance, elle l’a recherché. Elle a toujours vécu par la volonté, jamais par le désir. Aussi cette race, tant par ses qualités que par ses défauts, me semble la race de la domination terrestre par excellence ; les contradictions de son caractère ne la gênent en rien dans l’appréciation des faits et tendent, au contraire, à l’identifier avec eux, tandis que son inflexible volonté l’empêche d’être absorbée par eux, d’être engloutie par leurs orages et par les éruptions de leurs volcans. La race anglo-saxonne est toujours cette ancienne race de guerriers maritimes qui riaient au milieu des tempêtes, embarqués sur de frêles vaisseaux.