Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/767

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

y parvenir, faire du socialisme blanc. Je sais bien que les révolutions nous tondent d’un côté, mais les fabricans ne nous rasent-ils pas un peu de l’autre ? Pas de révolution, soit ; mais aussi pas d’exploitation !

« Un autre ; vorace farouche, et qui donnait de la rudesse à sa voix, afin d’étouffer le tressaillement involontaire de son cœur, disait au prince : Monseigneur, on nous répète sans cesse que vous êtes mal entouré, et que vous ne pourrez asseoir l’autorité royale que sur les nobles et les prêtres. Eh bien ! le peuple de la Croix-Rousse n’aime ni la calotte, ni les parchemins. — Le prince approuvait les raisons fondées (soit dit entre parenthèses, nous serions curieux de savoir lesquelles), discutait les sophismes et rétorquait victorieusement un préjugé, une calomnie, une mauvaise passion à l’aide de ces mots simples, mais éloquens, parce qu’ils partent du cœur. À sa parole loyale et persuasive, les mauvais vouloirs s’évanouirent, comme les brouillards se dissipent à la lumière éclatante du soleil, et lorsque M. le comte de Chambord eut reçu les adieux de la députation des travailleurs du Rhône, les démocrates avaient disparu, remplacés au moral par les disciples d’une foi nouvelle.

« Ah ! monseigneur, s’écriait en partant un vorace, marchand de vins à la Croix-Rousse, je pleure comme un enfant, et je n’en ai pas honte ; il me semble que j’avais un poids sur la conscience, et que ces larmes viennent de le faire couler. Il y a là-bas sur les côtes du Rhône trente mille hommes qui ont foi en ma parole. Quand je leur aurai répété ce que vous nous avez dit, j’aurai enlevé au socialisme trente mille soldats pour vous les donner ! »

Nous n’ajoutons rien à ce tableau vivant du socialisme légitimiste. Il est pris sur le fait, et nous le livrons tel quel. Il n’a plus, sans doute, cette franche odeur de sang que le rouge exhalait ; il s’y mêle un parfum d’encens et de musc. Le vorace se convertit et larmoie ; mais, à travers ses larmes, on sent bien qu’il n’a pas dépouillé le vieil homme, et ses convertisseurs ne lui en demandent pas tant.

Nous arrivons maintenant, et c’est comme malgré nous, aux rares orléanistes qui ont voté contre la révision ; nous avons assez exprimé le regret que nous inspirait une résolution si singulière : on leur en prête maintenant une autre qui serait encore plus grave et que nous ne leur attribuerons point tant qu’ils ne l’auront pas avouée. On suppose qu’ils arrangent la candidature de M. le prince de Joinville à la présidence de la république, et la polémique s’est même engagée là-dessus. Cette polémique au moment où nous sommes à la poursuite de la révision que nous ne devons pour rien au monde abandonner, cette polémique irritante aurait d’abord à nos yeux le tort d’être une diversion, et puisqu’on n’est point en mesure de la soutenir au nom du Prince, une diversion à la fois inutile et suspecte de brouillerie. Ce tort, nous ne voulons l’imputer à personne qu’à la dernière extrémité. Il serait d’autant plus sérieux, qu’on aurait gratuitement placé le généreux prince dans l’alternative d’un silence ou d’un manifeste également embarrassant, le tout pour entraver et dévoyer un mouvement de l’opinion publique qui ne satisfait pas au même degré toutes les vanités et toutes les ambitions. Combien plus simples et plus nobles sont l’attitude et la conduite des hommes politiques qui se rallient à ce vrai mouvement du pays, qui s’y fient et le dirigent ! — Tel a été le sens dans lequel on s’est surtout prononcé chez M. Barrot, où s’étaient réunis dernièrement