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héran, à travers des neiges qui ne nous quittèrent qu’aux abords de cette capitale.

Enfin nous aperçûmes les murs de Téhéran, et, à partir de ce moment, tous nos ennuis furent oubliés. Une nouvelle escorte vint au-devant de nous pour remplir la formalité que les Persans appellent l’istakhall, et qui signifie littéralement l’action d’aller au-devant. L’istakball ne s’accorde qu’aux voyageurs de distinction. Au milieu des cavaliers qui accouraient à notre rencontre, on remarquait les principaux officiers du beglier-bey (commandant civil) et du serdar (commandant militaire) de la ville. Ces officiers nous invitèrent à mettre pied à terre à l’entrée d’une tente magnifique en drap rouge, ornée de riches broderies ; et où une collation attendait l’ambassade. Après une courte halte, nous reprîmes le chemin de Téhéran, et notre attention fut bientôt entièrement absorbée par le spectacle de la foule qui se pressait pour nous voir, en poussant des cris que dominaient les voix rauques des derviches. Ces fanatiques étaient reconnaissables à leurs longs cheveux, aux peaux de tigre ou de chakal dont leurs épaules étaient couvertes. Armés de longs bâtons ou de massues garnies de gros clous dont les pointes étaient en dehors, ils excitaient l’enthousiasme de la multitude en poussant de temps à autre le cri deIà-Ali ! — Quel était le sens de cette invocation ? Était-elle faite en notre honneurs, ou appelait-elle sur la tête des Frenguis la colère du gendre élu prophète ? — En présence de la population exaltée qui nous entourait, il nous était difficile de nous défendre d’une certaine défiance. À voir surtout la mine sauvage et les regards farouches de ces derviches, nous avions bien quelque raison de ne pas croire de très bon aloi ces marques équivoques de sympathie accompagnées du cri religieux de Ià-Ali ! Peu nous importait cependant ; la population, dont notre cavalcade fendait les flots pressés, détournait à chaque pas notre attention de ces jongleries peu rassurantes. Des danseurs, des musiciens, des bateleurs déguisés et revêtus de peaux de bêtes, se mêlaient à la foule des curieux, qui s’écartait docilement pour leur livrer passage jusqu’à nous. Quelques-uns de ces bateleurs traînaient en laisse ou portaient sur leurs épaules de jeunes tigres, des ours ou des singes. À côté d’eux, des lutteurs, nus jusqu’à la ceinture, se tordaient en tous sens et décrivaient de grands cercles avec d’énormes massues, qu’ils faisaient mouvoir tout autour de leur corps, en faisant par leurs contorsions, ressortir la vigueur de leurs membres et l’élasticité de leurs muscles. Plus loin, des confiseurs brisaient devant l’ambassadeur des fioles remplies de petites dragées qui s’éparpillaient sous les pieds de son cheval. Puis, comme pour purifier la terre et abattre la poussière soulevée par la foule, venaient des sakkâs ou porteurs d’eau soutenant des outres énormes sur leurs bras et répandant l’eau qu’elles contenaient sur le sable de la route. Tout avait été mis en œuvre pour nous recevoir digne-