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langage élevé ; mais j’ai peine à concevoir que Mucarade charge sa maîtresse, dont il connaît les antécédens, de persuader à Célie qu’elle ne mérite pas son mépris. Quelque talent que la courtisane apporte dans son plaidoyer, quelque fierté que la jeune fille mette dans sa réplique, je ne puis accepter cette lutte de la candeur contre le vice las de lui-même. Il me semble que l’amour paternel doit reculer devant une pareille épreuve. Mucarade, malgré sa passion pour Clorinde, ne peut songer à profaner la pureté morale de sa fille. Or, n’est-ce pas la profaner que de la soumettre à une pareille épreuve ? Je ne trouve pas d’ailleurs un intérêt bien vif dans cette dissertation dialoguée sur la dignité de la vertu, sur la difficulté de rentrer dans le droit chemin après avoir failli une première fois, sur la jeunesse et la beauté aux prises avec la faim.

Il y a dans la seconde partie de l’Aventurière, dans la partie dramatique, une scène très bien faite, celle où Clorinde, humiliée par le mépris de Fabrice, effrayée par ses menaces, s’avoue vaincue, et sent pour la première fois son cœur brûler d’un amour sincère. Dans sa vie de courtisane, elle a toujours vu les hommes à ses pieds ; elle avait besoin, pour aimer, de trouver un maître impérieux ; à peine l’a-t-elle rencontré, qu’elle s’agenouille et demande merci. C’est un sentiment très vrai que M. Augier a traduit en vers très francs.

Ainsi le juge le plus sévère trouve beaucoup à louer dans cet ouvrage. La conception générale de l’Aventurière est certainement défectueuse : la seconde moitié ne répond pas à la première, le caractère du principal personnage n’est pas fidèlement conservé pendant toute la durée de l’action ; pour sentir, pour démontrer le vice de cette conception, il n’est pas nécessaire de recourir aux poétiques, le bon sens suffit ; mais la gaieté qui anime les trois premiers actes révèle chez M. Augier une véritable vocation pour la comédie. Si les personnages appartiennent à la fantaisie, l’auteur leur a prêté des sentimens que la raison peut avouer, des passions, des ridicules que nous retrouvons dans la grande famille humaine. C’en est assez pour faire de l’Aventurière, sinon une comédie complète, du moins un ouvrage très digne d’encouragement.

Le sujet de Gabrielle est d’une nature fort délicate. Pour bien comprendre toutes les difficultés que présente un pareil sujet, il faut le réduire aux termes les plus simples, et l’exprimer d’une façon assez claire pour ne laisser aucun doute dans l’esprit du lecteur. M. Augier a voulu prouver qu’une femme est toujours mieux aimée par son mari que par son amant. Je ne crois pas qu’il soit possible d’apercevoir au fond de cette comédie une thèse différente de celle que j’énonce. Or, cette thèse, qui, dans le domaine de la morale, substitue l’intérêt bien entendu à l’accomplissement du devoir, ne peut avoir,