Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/105

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

reste ne reçoivent que de bien faibles salaires qui varient pour l’aller de 2 à 300 piastres, y compris la nourriture. Il faut ajouter que beaucoup de pauvres gens, hors d’état de faire les frais du pèlerinage et poussés sur la route de La Mecque par une foi ardente, se louent comme domestiques aux entrepreneurs, et n’obtiennent que la nourriture pour rémunération de leurs services.

Dans les dépenses du pèlerinage, outre les moyens de transport, il faut faire entrer les cadeaux d’usage à faire aux gens de service, les aumônes que le pèlerin doit répandre sur la route, et ses présens au saint tombeau. Il suit de là que les frais d’un pèlerinage accompli dans des conditions de comfort et de respectabilité s’élèvent à 40 ou 50,000 piastres (10 ou 12,000 fr.) ; mais pour la majorité des hadjis, il ne dépasse pas 10,000 piastres (2,500 fr.), et pour un grand nombre même il s’accomplit, comme nous l’avons vu, sans bourse délier.

A neuf heures du matin, deux coups de canon donnèrent le signal de la levée du camp. Sans perdre de temps, les hommes chargés des tentes furent à la besogne, et une heure après la caravane était en marche. C’était un spectacle à ne pas négliger, et d’un temps de galop je rejoignis la tête du cortège, qui défila entièrement sous mes yeux. En avant, sur les flancs, des pelotons d’irréguliers bien montés éclairaient la marche de la caravane. D’abord venaient par centaines les pèlerins montés sur des chameaux, presque tous Persans à barbe longue, coiffés de bonnets pointus, et abrités sous des parapluies, de véritables rifflards verts, bleus, rouges, tels qu’ils n’en existe plus qu’en Orient, Arrivaient ensuite, avec une confusion naturelle à la première marche, les ashabs, les tartarawans, les bagages. A l’arrière, le pacha s’avançait entouré d’un brillant état-major, après avoir passé en revue les troupes régulières, tandis qu’à l’avant-garde le tartarawan lilas de la sultane favorite, resplendissant de dorures et de miroirs, paré, à l’instar d’un dais, aux quatre coins de bouquets de plumes d’autruche, brillait comme un diamant au soleil. Je renonce à décrire cette scène si pleine de luxe et de fantaisie orientale, et me borne à la recommander à l’attention de l’illustre peintre du Supplice des crochets. Quel chef-d’œuvre il en saurait tirer ! pour moi, je me disais qu’après avoir vu la pâque à Jérusalem et le départ des pèlerins de La Mecque, j’avais pu observer dans quelques-unes de ses manifestations les plus pittoresques la vie religieuse des populations de l’Orient.


Major FRIDOLIN.

Calcutta, décembre 1853.