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jusqu’ici, il pourra fournir une belle carrière et servir d’exemple à tant de pauvres égarés. Qu’il se raidisse seulement contre les éloges des entrepreneurs de succès ! C’est là le commencement de la sagesse pour un artiste de notre temps.

Depuis l’Etoile du Nord, le théâtre de l’Opéra-Comique n’a signalé son activité que par la reprise du Songe d’une nuit d’été de M. Ambroise Thomas et quelques débuts sans importance sur lesquels nous n’avons point à insister. Quant à la campagne du Théâtre-Italien, elle n’a pas été à beaucoup près aussi brillante qu’on avait lieu de l’espérer d’abord. Des débuts malheureux, l’exhumation de plusieurs ouvrages médiocres qui auraient dû rester ensevelis dans l’oubli dont ils sont dignes, une exécution très imparfaite, ont refroidi peu à peu la curiosité des amateurs. N’était-ce pas abuser un peu de l’indulgence bien connue du public parisien que de lui faire entendre le Don Juan de Mozart, parodié par MM. Tamburini, Dalle Aste et Mlle Cambardi ? Pouvait-on espérer que la Donna del Lago, où Mme Alboni a eu la fantaisie de chanter le rôle d’Elena, qui ne convient ni à sa voix ni à sa personne, ferait longtemps illusion à un public familier avec les plus beaux morceaux de cette partition, qui exige un grand spectacle pour produire tout l’effet désiré ? Il est triste d’être obligé de reconnaître qu’avec une voix admirable et une facilité merveilleuse, Mme Alboni manque tout à la fois d’imagination et de sentiment. Elle ne varie pas suffisamment la combinaison de ses gorgheggi, qui sont toujours les mêmes, et rarement elle fait jaillir de son organe généreux une étincelle d’émotion. Aussi Mme Alboni a-t-elle beaucoup perdu, depuis un an, dans l’estime des connaisseurs, tandis que Mme Frezzolini, dont nous n’avons jamais méconnu la distinction, s’est élevée au premier rang des cantatrices dramatiques.

Née à Orvietto, dans les États-Romains, Mme Frezzolini, qui est la fille d’un artiste qui a eu de la réputation comme chanteur bouffe, a reçu une excellente éducation. Elle débuta très jeune encore dans les opéras de M. Verdi, et, pendant vingt ans, fit les délices de l’Italie. Douée d’une physionomie charmante, l’esprit orné et femme de bonne compagnie, Mme Frezzolini a porté sur la scène cette distinction de manières et ce goût délicat qui donnent un si grand prix à la fiction dramatique. Sa voix est un soprano d’une assez grande étendue, et qui a dû être d’un timbre délicieux avant que la mauvaise influence de la nouvelle école italienne l’eût terni et fatigué prématurément. Telle qu’elle nous est apparue cet hiver à Paris, Mme Frezzolini, qui n’est plus d’une extrême jeunesse, nous a révélé un talent d’une rare perfection aussi bien comme comédienne que comme cantatrice. Dans la Lucia, dans les Puritains, et surtout dans le troisième acte de Béatrice di Tenda de Bellini, Mme Frezzolini a prouvé qu’avec des ménagemens elle pouvait encore attirer la foule et satisfaire les plus délicats. Son goût est parfait, et bien qu’elle soit forcée d’employer trop fréquemment les notes suraiguës, qui seules ont conservé un peu de sonorité, Mme Frezzolini parvient à faire oublier à force d’art et de sentiment que sa voix a subi un irréparable outrage. Il n’en est pas ainsi de Mme Alboni, qui, malgré sa belle voix, son talent et sa jeunesse, a été presque ridicule dans la Nina passa per amore du maestro Coppola, qu’elle a voulu absolument nous faire entendre. Cet opéra médiocre, composé à Milan en 1837 pour une cantatrice à la mode, Adelina Spech, qui