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depuis a épousé le ténor Salvi, n’a de commun que le titre avec le chef-d’œuvre de Paisiello. C’est une mauvaise imitation de la manière de Bellini, et qui n’était pas digne de figurer au Théâtre-Italien de Paris, où Mme Alboni n’a pu le soutenir que pendant deux seules représentations.

Au troisième théâtre lyrique, on rit, on chante, on s’amuse, et tout le monde a du succès, jusqu’au public, qui mérite vraiment qu’on l’encourage, puisqu’il trouve que la Promise de M. Clapisson est un chef-d’œuvre et que Mme Cabel est une grande cantatrice. Dieu nous garde de troubler cette fête de famille par des observations chagrines ! Nous sommes plutôt disposé à reconnaître l’utilité d’un établissement public où les écoliers et les enfans terribles peuvent faire toute sorte de tours sans risquer de se casser le cou. Le dernier ouvrage exécuté au Théâtre-Lyrique s’appelle Maître Wolfram, petit opéra en un acte, improvisé par M. Méry pour le compte de M. Reyer. Le sujet est emprunté à cette lithographie si connue de M. Lemud, où l’on voit un jeune organiste allemand plongé dans l’extase de l’inspiration. Le libretto est écrit avec facilité, et, sans offrir un bien grand intérêt, il présente une ou deux situations qui suffisent à éprouver la veine d’un compositeur. M. Reyer, qui en a écrit la musique, est un jeune homme connu pour avoir réuni tant bien que mal trois ou quatre mélodies boiteuses sous ce titre oriental - le Selam. — Le Selam, dont les paroles sont de M. Th. Gautier, est au Désert de M. F. David ce que M. F. David est à Mozart, auquel certains amateurs de critique musicale ont bien voulu le comparer ! N’ayant pas excité l’enthousiasme que lui avait prédit M. Th. Gautier, M. Reyer fut obligé d’abdiquer ses prétentions de conquérant et de se faire le drogman musical de quelques hommes d’esprit auxquels il enseigne la solmisation d’après la méthode de Gui d’Arezzo :

Ut queant laxis resonare fibris
Mira gestorum famuli tuorum,
Solve polluli labii reatum,
Sancte Joannes.

C’est en remplissant ces fonctions d’Egérie auprès de trois ou quatre feuilletonistes à la mode que M. Reyer s’est acquis une réputation discrète qui lui a valu l’honneur de faire représenter au Théâtre-Lyrique Maître Wolfram, où nous avons remarqué une fort jolie ballade chantée avec émotion par Mme Meillet, une romance de ténor, un duo pour ténor et soprano, qui ne manque pas de distinction, un beau chœur où l’on reconnaît facilement l’imitation de Weber, et la scène finale, qui renferme d’agréables détails. Si, au lieu de faire le docteur dans les journaux, M. Reyer allait tout bonnement trouver M. Barbereau, l’un des plus savans professeurs d’harmonie et de composition qu’il y ait à Paris, lui demander des conseils dont il a grand besoin, peut-être pourrait-il réparer le temps perdu et devenir un artiste sérieux. M. Reyer a des idées, un bon sentiment musical et l’intuition de certains effets d’ensemble qu’il a puisés en partie dans le Freyschütz de Weber ; mais il ignore les premiers élémens de l’art d’écrire, qu’il n’apprendra certainement pas des beaux esprits qui l’adulent.

Les concerts n’ont pas été cette année moins nombreux que les années précédentes. Ceux du Conservatoire, toujours suivis par la foule empressée,