suaves qui semblent joindre à la nerveuse souplesse de la jeunesse le provocant et voluptueux contour de la maturité qui s’approche : c’était Mlle Isabelle-Angélique Colbrand[1], prima donna du théâtre de San-Carlo, sultane favorite du signor Mustapha-Barbaja, irrésistible magicienne qui passait pour avoir déjà coûté à son galant impresario dix fois plus que la duchesse de Floridia n’avait coûté au roi de Naples.
— Entrez, mon cœur, dit Barbaja; que je vous présente l’illustre auteur de Tancredi, depuis deux heures arrivé à Naples, et depuis vingt minutes un des nôtres.
— Bravo ! bravo ! fit la cantatrice en frappant dans ses petites mains gantées. Et à quand le prochain chef-d’œuvre ?
— Mais, madame, je n’attends plus maintenant qu’un libretto.
— Qu’à cela ne tienne ! interrompit Barbaja; vous allez être servi à souhait. Voulez-vous du bouffe ou du tragique ?
— L’un ou l’autre, cela m’est parfaitement indifférent.
— Du tragique alors, cher maestro, s’écria la signera Colbrand, du tragique pour l’amour de moi!
— Et si vous recevez tantôt votre poème, reprit l’imprésario, quand pensez-vous être prêt ?
— C’est selon; peut-être dans trois mois, peut-être aussi dans quinze jours !
Le surlendemain, Rossini, commodément installé chez le directeur de San-Carlo, dormait encore vers midi lorsqu’une main timide vint frapper à sa porte. Le trop matinal visiteur, ne recevant pas de réponse, frappa de nouveau, et ce ne fut qu’à la troisième reprise qu’une voix de stentor lui cria d’entrer.
— Est-ce au célèbre maestro Rossini que j’ai l’honneur de parler ? dit alors en ouvrant discrètement la porte un petit homme maigre et jaune, dont l’échine famélique se courba respectueusement.
— A lui-même... Que me voulez-vous ?
— Pardon, je venais pour...
— Me raser peut-être ? Repassez dans deux heures.
— Pardon, maestro, mais je ne suis point tout à fait ce que vous croyez; on me nomme l’abbé Totola, et c’est moi qui suis chargé par M. Barbaja de composer les pièces qu’on met en musique pour San-Carlo.
— Eh ! cher abbé, que ne le disiez-vous tout de suite ? M’apportez-vous mon poème ? Voyons le titre.
— Elisabetta, regina d’Inghilterra, opera seria.
— C’est bien; posez cela sur mon piano.
- ↑ Née à Madrid en 1785.