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christianisme et touchaient aux doctrines panthéistes. Le jeune croyant, effrayé du nouvel horizon qu’il entrevoyait, se retournait vers Théodore de Bèze, qu’il appelait son père dans le Christ. Il lui demandait des armes pour combattre ces nouveaux adversaires, peut-être aussi pour se raffermir lui-même contre les tentations de l’esprit et le désir de tout connaître. Théodore de Bèze apaisait les angoisses de Marnix, il le renvoyait au dernier traité de théologie qu’il venait de publier, surtout il lui enseignait le mépris superbe qui est demeuré un des traits les plus frappans de l’école de Genève. Toutefois ces correspondances, ce zèle emporté ne pouvaient rester longtemps sans péril. Obligé de se dérober par la fuite aux inquisiteurs, Marnix imagine que le moyen le plus sûr pour lui est de se cacher au foyer de l’inquisition elle-même. Il se retire en Italie, peut-être à Rome ; il voulait effacer ses traces ; l’histoire n’a pu les retrouver.

Bientôt Marnix pressent qu’une révolution profonde se prépare et qu’il doit y avoir sa place[1]. On le voit reparaître soudainement au milieu des jeunes nobles de Bruxelles et parmi les riches marchands d’Anvers. Les choses avaient grandi depuis son absence. Ce n’était plus par des paroles furtives qu’il devait répandre sa foi. La révolution qu’il avait apportée de Genève, il la trouvait ou croyait la trouver partout. D’un côté, un peuple irrité contre la domination étrangère n’attendait que des chefs pour se déclarer ; de l’autre, une noblesse ambitieuse, jalouse de ces mêmes étrangers, épiait l’occasion de ressaisir son autorité perdue. Les uns et les autres comprirent avec la rapidité de l’instinct que le concile de Trente[2], en changeant l’organisation de l’église, changeait l’organisation politique de l’état, et que cet idéal nouveau de despotisme devait ruiner du même coup les petits et les grands. Ce sera l’honneur des Pays-Bas d’avoir compris mieux qu’aucun autre peuple la logique de la tyrannie.

En vain Philippe II répétait qu’en imposant l’inquisition et les placards[3], il ne changeait rien à ce qu’avait établi son père Charles-Quint ; l’instinct public avait clairement discerné que l’introduction du concile de Trente, c’était l’entrée dans le chemin de la servitude politique consacrée par la servitude ecclésiastique. Là était la cause

  1. Joannes Meursius, in Athenis Batavis. «Philippus Marnixius, nomen ejus per Europam totam clarissimum et in viro, genus, ingenium, eruditio, virtus atque industria ceitabant. » — Melchior Adamus, In Vitis Theologorum, 1653. — Verheiden, Elogia Theologorum, p. 141.
  2. « Le concile de Trente qui fut, comme vous savez, le commencement de vos ruines. » Duplessis-Mornay, Mémoires, t. Ier, p. 194.
  3. Ordonnances contre les hérétiques.