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modération : un grand acte qui interdise le retour! Si jamais diplomatie prit un caractère héroïque, ce fut celle-là. Au nom du Taciturne, on se figure d’ordinaire une politique toujours cauteleuse, un voile toujours tendu; l’on voit au contraire ici comment un seul homme peut relever un peuple dont la dégénération a commencé, et tout cela avec quel bon sens intrépide, et, comme il le dit, avec quelle rondeur de conscience!


« Un faisceau, étant délié en plusieurs petites verges ou baguettes, se rompt bien aisément; mais quand il est très bien conjoint et bé par ensemble, il n’y a bras si robuste qui le puisse forcer. Ainsi pareillement, si vous vous tenez joints et unis comme nécessairement vous ferez si vous suivez mon conseil, et que par votre déclaration vous établissiez une obligation entre tous de maintenir ce fait jusqu’au dernier homme, toute l’Espagne et l’Italie ne sont suffisantes pour vous faire mal.

« En outre, vous donnerez à tous vos amis et bienveillans occasion et cause de se déclarer de votre côté. Les princes d’Allemagne, les seigneurs et gentilshommes de France, même la reine d’Angleterre, et tous les autres potentats de la chrétienté, qui ci-devant ont vu avec compassion vos misères et afflictions, n’ont voulu toutefois y mettre la main; car ils ont toujours pensé, puisque vous le souffriez volontairement, qu’il n’y avait raison de vous tirer hors.

« Je vous assure bien qu’il y en a une infinité qui jugent que toute cette affaire que vous avez entreprise réussira finalement en fumée, puisqu’ils voient qu’il n’y a nulle déclaration manifeste qui oblige les uns aussi bien que les autres, et qui vous empêche de reculer, et plusieurs font ainsi difficulté de s’en mêler. Mais au contraire, quand ils verront que vous vous êtes déclarés en la façon susdite, il n’y aura personne qui n’accoure à votre assistance et vous demeure fidèle jusqu’à la dernière goutte de sang, outre que par ce moyen vous vous acquerrez de par tout le monde gloire et réputation d’hommes courageux et magnanimes[1]. »


De semblables paroles, soutenues chaque jour par tout l’art de Marnix, avaient fini par gagner la cause de l’alliance. Le 15 novembre 1576, Marnix eut la gloire de signer le premier, au nom de la Hollande, le traité de réconciliation entre les deux races. Un avenir magnifique se lève sur la confédération des Pays-Bas. Armés les uns contre les autres, ils avaient tenu tête à l’Espagne; que ne pourront-ils désormais, unis et confondus ? Marnix put se dire ce jour-là qu’il les avait conduits au port : illusion sublime qui devait durer à peine quelques jours!


EDGAR QUINET.

  1. Correspondance de Guillaume le Taciturne, tome III, p. 144, 148, 152.