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du pape, et soutint, comme Jean Huss, qu’un excommunié peut prêcher. Ses partisans les plus dévoues eux-mêmes s’effrayèrent de cette doctrine. La seigneurie lui ordonna de renoncer à la chaire, et le 18 mars 1498 il prit congé de ses auditeurs.

Quelques mois avant l’interdiction qui venait de le frapper, et au moment même où les franciscains, ses adversaires les plus obstinés, contestaient du haut de la chaire l’authenticité de sa mission, Savonarole leur avait offert de se rendre au sommet d’une colline, et là, le saint-sacrement dans les mains, de prier Dieu de foudroyer ceux- qui ne marcheraient pas dans les voies de la vérité. Il avait de plus écrit au pape qu’il le sommait de ressusciter un mort, en offrant pour sa part de rendre à la vie telle personne qu’on lui désignerait, et la confiance qu’il inspirait encore à quelques-uns de ses partisans était si grande, que le jeune Pic de la Mirandole lui adressa une lettre pressante pour le prier de ressusciter son oncle. Le défi n’avait point été accepté d’abord. Ceux même qui niaient la mission prophétique de Savonarole n’étaient point rassurés contre ces miracles ; mais quand ils le virent excommunié par le pape, abandonné par la seigneurie, menacé par le peuple, ils offrirent de tenter contre lui une épreuve décisive.

Frère Jérôme, dans un de ses sermons, avait raconté qu’Hélénus, évêque d’Héliopolis, avait dit à un hérétique insensible à ses exhortations : « Allumons un grand feu et entrons-y, les flammes brûleront celui qui sera dans l’erreur. » Le feu fut allumé. L’évêque monte sur le bûcher du même pas qu’il montait à l’autel ; il s’assit au milieu des brasiers ardens, et pendant une demi-heure il hanta des cantiques sans être touché par les flammes. « Quand la foi, dit Savanarole en racontant ce prodige, ne peut se défendre autrement, il faut en venir à ces jeux-là. — Défendez donc votre foi comme l’évêque Hélénus, lui répondirent ses adversaires, » et un frère mineur, Francisco di Publia, offrit de passer par le feu d’un bûcher, si frère Jérôme voulait le suivre. Celui-ci ne s’empressa point de répondre ; mais l’un de ses disciples les plus fervens, le père Buonvicini, déclara qu’il était prêt à tenter l’épreuve. Savonarole sentait que dans une affaire aussi grave il ne lui était point permis de se faire suppléer, et il offrit d’entrer lui-même dans les flammes, mais à la condition que les ambassadeurs de tous les princes chrétiens seraient invités à assister à ce jugement de Dieu, et qu’on lui permettrait, s’il en sortait intact, de commencer immédiatement la réforme de l’église universelle.

Florence entière était en émoi et attendait le miracle avec une vive impatience. L’un des membres de la seigneurie, pour hâter le dénoûment sans compromettre la vie de personne, proposa de remplacer le bûcher par un bain, d’y plonger les deux adversaires, et de déclarer vainqueur celui qui en sortirait sans être mouillé. Après bien des pourparlers, on convint que Francesco di Publia ne serait tenu de monter sur le bûcher que si Savonarole y montait lui-même, et que, dans tous les cas, les habitans qui voudraient passer dans les flammes et se présenter comme les champions de l’un ou de l’autre adversaire étaient invités à se faire inscrire. Une foule de citoyens répondirent à cette invitation, et, pour mettre un terme, à l’agitation qui régnait dans la ville, la seigneurie décida que l’épreuve aurait lieu dans le plus bref délai.