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REVUE MUSICALE.
L’ART DE CHANTER, THEORIE ET PRATIQUE, par H. Panofka.

À quoi peuvent servir les méthodes qui ont pour objet l’art de chanter ? Ce n’est pas assurément à faire l’éducation de ceux qui les achètent, car il n’y a rien de plus inutile à l’élève qui veut apprendre à chanter qu’un livre où est exposée la théorie d’un art d’imitation qui vit d’exemples et de bons modèles. En effet, s’il y a une chose au monde qu’on ne puisse apprendre sans un maître qui vous guide, c’est l’art d’exprimer les sentimens du cœur par les modulations savantes de la voix humaine. Comme tout ce qui sert à la manifestation de la vie morale, le chant se compose d’un ensemble de détails matériels et de nuances de sentiment, d’exercices physiques et d’analyse, qu’il est à peu près impossible d’indiquer par des signes. Même en ne s’occupant que de la simple vocalisation qui a pour objet l’assouplissement de l’organe, comment s’y prendre pour éclairer l’élève, sans le concours du maître en personne, sur la manière de filer un son, de le dilater successivement, sans cahots et sans déchirement, d’en former un tout qui ait sin commencement, son milieu et sa fin ? Comment expliquer par la parole abstraite ce que c’est qu’une phrase musicale, quelle est l’importance d’un trait, d’une inflexion et de ces mille petits ornemens qui caractérisent le style et qui doivent orner l’idée mélodique, sans en altérer le caractère ? La difficulté redouble, si l’on s’aventure dans le domaine de l’expression. Une méthode de chant sans un professeur qui la commente, l’explique et la vivifie, est encore plus inutile à l’élève, dépourvu d’expérience que la grammaire d’une langue, étrangère dont on n’aurait jamais entendu prononcer un mot. — Mais alors, répètera-t-on, à quoi peut servir la publication d’un livre sur l’art de chanter ? A donner une idée de l’enseignement du professeur, à présenter un choix de bons exemples aux élèves qui viennent prendre ses conseils.

La première condition pour composer une bonne méthode de chant, c’est d’être soi-même un chanteur exercé. Ici la théorie est presque inséparable de la pratique, et l’une ne peut guère se concevoir sans le concours de l’autre. Il y a sans doute des exceptions à cette règle, mais elles sont rares, et les musiciens qui peuvent enseigner avec succès un art dont ils ne possèdent pas le mécanisme sont des hommes éclairés qui parviennent au même résultat à force de pénétration et de rapprochemens ingénieux. Ce n’est pas à dire que parce qu’on sera un grand virtuose, un interprète éloquent des chefs-d’œuvre de l’art, on possédera aussi les qualités nécessaires à un bon professeur. L’enseignement exige un tact, un goût et un discernement tout particuliers. Il faut savoir dégager la règle générale au milieu des nombreuses exceptions qui l’accompagnent, bien saisir la nature et l’aptitude de chaque élève, afin de le soumettre aux exercices les plus propres à le conduire au but désiré, car toutes les voix et toutes les organisations ne peuvent pas être dirigées de la même manière ; il faut connaître à fond les différentes écoles et la propriété de chaque style, être initié aux secrets de l’harmonie et même à ceux de la composition, avoir fait une étude sévère, de la langue et de la littérature de son pays, sans être complètement étranger à