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celles de l’antiquité, qui renferment un si riche dépôt d’observations exquises et de vérités éternelles sur tous les arts. En un mot, un professeur de chant doit être un homme d’un goût sûr, éclairé, habile, qui, sans système préconçu, sans étalage d’une science inutile, sache appliquer le petit nombre de principes reconnus, en les modifiant selon la diversité des individus, des pays et des écoles. Semblable à un médecin expérimenté qui sait varier la dose de ses médicamens selon le tempérament de ses malades, un professeur de chant doit mettre dans la distribution de ses conseils une mesure et une variété de procédés que lui imposent la délicatesse et la mobilité des organisations humaines.

Telles sont aussi les idées raisonnables émises par M. Panofka dans l’avant-propos de l’ouvrage qu’il vient de publier. M. Panofka est un homme intelligent, un musicien de mérite, qui, après s’être distingué comme violoniste, a cru devoir abandonner la carrière qu’il avait parcourue avec succès pour s’adonner à l’étude de l’art de chanter, qui a eu toujours de l’attrait pour lui. De nombreux voyages dans les différentes parties de l’Europe, la fréquentation des plus célèbres virtuoses de notre temps, le goût de l’observation et surtout la connaissance du violon, dont le mécanisme a tant d’analogie avec celui de la voix humaine, ont encouragé M. Panofka à consigner dans une méthode le résultat de ses études et de son expérience. Mais pour mieux faire apprécier l’ouvrage de M. Panofka, peut-être n’est-il pas inutile de montrer ce qu’a été pendant longtemps l’art de chanter en France.

Jusqu’au commencement du XVIIe siècle, l’histoire de la musique en France se confond avec celle de toute l’Europe. Excepté les chansons et les romances populaires, dont le tour naïf, tendre et malin témoigne du caractère de la nation qui les a vus naître, il n’y a pas de musique française proprement dite avant le règne de Louis XIV. Les grands contrepointistes belges et français des XVe et XVIe siècles, qui ont tant contribué aux progrès de la partie scientifique de l’art de combiner les sons, n’ont pas de physionomie particulière. Ce n’est qu’à partir du changement que subit la tonalité du plain-chant et de l’apparition de la modulation chromatique, que le caractère individuel de chaque peuple se révèle dans les formes mélodiques.

L’art de chanter avait déjà lait des progrès assez sensibles avant que Lulli vînt lui donner une direction plus large et plus sévère. Sous Louis XIII et pendant la minorité de son successeur, on chantait beaucoup, en s’accompagnant du luth ou du théorbe, les airs de cour à plusieurs parties ou à une seule voix, de Bailly, de Guedron, et particulièrement ceux de son gendre Boesset, qui jouissait d’une grande vogue. Tous trois avaient occupé successivement la place de surintendant de la musique du roi. Il y avait aussi une foule d’airs de danse, comme menuets, bourrées, courantes, sarabandes, gavottes, villanelles, brunettes, que l’on composait d’abord pour des instrumens, et sous lesquels on mettait ensuite des paroles plus ou moins bien appropriées. C’était une imitation de ces canzonette et villote napoletane, qu’on chantait en dansant, pendant le XVIe siècle, en Italie. Tout le monde sait que Lambert, le beau-père de Lulli, fut un maître de chant très estimé, dont l’esprit, le goût et le talent étaient recherchés par les hommes les plus illustres de sonu temps, et faisaient le charme de la cour et de la ville.