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phase révolutionnaire d’où elle sortait. L’alliance russe était naturellement un des pivots de cet ordre d’idées. Ni dans la société de Vienne, ni dans la haute aristocratie militaire, ni dans le gouvernement, il n’y avait d’apparence qu’un autre mouvement d’esprit pût de longtemps se produire. La brillante société de Vienne, comme toutes les noblesses qui ne se transforment point par le maniement des affaires en véritables aristocraties politiques, est frivole et rebelle aux nouveautés ; pour elle, l’alliance russe était quelque chose de sacré comme une religion, de fixé comme une convenance, de populaire comme une mode. Chez le jeune empereur, les sentimens personnels se joignaient aux intérêts politiques en faveur de l’alliance russe. Élevé dès son enfance dans le respect de l’empereur Nicolas, habitué à le regarder comme la personnification de l’ordre et de la conservation en Europe, il croyait lui devoir l’affermissement de la couronne sur sa tête. Les plus généreuses inspirations de sa nature et de son âge, la reconnaissance et l’admiration répondaient aux témoignages d’affectueuse sympathie que l’empereur Nicolas lui avait prodigués. Une initiative contraire ne semblait pas pouvoir partir des ministres de l’empereur. Les événemens de 1848 avaient sans doute produit d’extraordinaires changemens dans le gouvernement autrichien. L’introduction d’hommes nouveaux, d’un avocat et d’un professeur, dans les conseils de l’empire était sans doute un fait inouï, signe et présage du rajeunissement de la vieille politique autrichienne ; mais ce qui n’était pas moins nouveau dans le cabinet de Vienne, c’était l’absence d’une de ces suprématies d’intelligence et de situation aristocratique capable par ce double ascendant de dominer toutes les influences et de plier à ses conceptions politiques les opinions et les volontés rétives. S’il y avait dans le cabinet ou dans les grands emplois des hommes tels que M. Bach et M. de Uruck, on n’y voyait ni un prince de Metternich ni un prince de Schwarzenberg. M. de Buol, porté aux affaires étrangères par une carrière diplomatique des plus distinguées, était encore dans ce moment de la vie politique où les hommes d’état ont trop à compter avec les influences qui les soutiennent et le concours dont ils ont besoin pour avoir la liberté de leurs allures et pour être véritablement maîtres du pouvoir attaché à leurs fonctions. Qu’un événement inattendu vint surprendre l’Autriche et lui demander un changement de système et de conduite, il était donc aisé de prévoir que la transition serait lente, difficile, contrariée par bien des obstacles. Ils sont rares en tout pays les esprits politiques assez perçans pour démêler les difficultés et les exigences d’une situation nouvelle, assez agiles pour s’y adapter sur-le-champ, assez élevés, assez dégagés et assez mâles pour subordonner à un intérêt immédiat et supérieur