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que l’événement allait établir dans leurs positions respectives. Le gouvernement français, avec l’active prévoyance dont il n’a cessé de donner des preuves durant ces longues et délicates négociations, avait déjà pensé à une semblable convention, et en avait envoyé le projet à Vienne et à Berlin dès la fin de janvier. On avait laissé dormir pendant deux semaines ce projet de convention à cause de l’émotion excitée par la mission du comte Orlof. On y revint sérieusement quand cette émotion fut calmée. On put mesurer alors le changement qui s’était opéré dans les dispositions du cabinet de Vienne à l’égard de la Russie. Maintenant que l’Autriche avait recouvré toute son indépendance vis-à-vis de Pétersbourg, elle entrait dans son rôle naturel d’antagonisme contre la Russie en Orient ; elle allait prendre l’initiative des précautions les plus vigoureuses contre les usurpations des Russes sur l’empire ottoman. M. de Buol approuva le projet de convention qui lui était proposé par la France et l’Angleterre. Il n’y trouva qu’une chose à reprendre : à ses yeux, les prescriptions en étaient devenues trop faibles à raison du temps écoulé et du changement survenu dans la situation, et ne prévoyaient pas tout. Le projet français disait que les puissances seraient prêtes à rétablir la paix sur les bases du 13 janvier. Pourquoi promettre d’aussi bonnes conditions à la Russie ? Les bases du 13 janvier lui assuraient le renouvellement de ses anciens traités avec la Turquie. Il ne fallait pas lui offrir cette prime d’encouragement, si elle persistait dans son système actuel ; il fallait lui laisser entrevoir que, la lutte commencée, elle n’était pas sûre de retrouver ses anciens traités, arrachés aux défaites de la Porte et à la faiblesse de l’Europe. M. de Buol proposa aussi d’ajouter à la convention un article par lequel les puissances signataires s’engageraient à ne pas traiter les unes sans les autres. C’était établir une étroite solidarité entre les quatre puissances et paralyser d’un coup les tentatives que la Russie pourrait faire pour les diviser. La portée de la convention ainsi fortifiée saute aux yeux : elle engageait les cours allemandes à concourir jusqu’au bout avec les puissances maritimes pour s’opposer à toute conquête ou extension d’influence de la Russie en Orient. C’était le couronnement logique de l’œuvre de la conférence de Vienne. C’était la transition naturelle de la politique des négociations à la politique de l’action. Nous dirons tout à l’heure ce que devint ce projet.

À la même époque, à une date que les documens anglais nous permettent de fixer vers le 22 février[1], H. de Buol prit une initiative non moins caractéristique de l’énergie avec laquelle l’Autriche s’engageait dans notre politique. Nos relations diplomatiques avec la Russie étaient rompues. M. de Buol demanda à M. de Bourqueney si

  1. Eastern Papers, part. VII. Dépêche de lord Cowley à lord Clarendon, n° 84.