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la France et l’Angleterre n’allaient pas sommer la Russie d’évacuer les principautés sous un court délai, dont le terme serait l’ouverture des hostilités ? Si les puissances maritimes adoptaient cette marche, l’Autriche serait prête à appuyée leur sommation à Saint-Pétersbourg. Elle serait repoussée sans doute ; mais la résolution de l’Autriche aurait plané sur le refus comme une menace. M. Drouyn de Lhuys accueillit l’idée suggérée par M. de Buol ; lord Cowley en informa lord Clarendon, et cinq jours après le courrier du cabinet anglais porteur des sommations des puissances maritimes partait pour Saint-Pétersbourg. L’Autriche, il est vrai, n’a pas tiré le premier coup de canon ; mais l’on conviendra que notre déclaration de guerre à la Russie a été bourrée par une suggestion autrichienne.

Par une singulière coïncidence, le dernier acte de la politique des négociations et l’acte décisif de la politique d’action se rencontrèrent à Vienne. Le jour où le courrier porteur des sommations des puissances maritimes arrivait à Vienne, de Saint-Pétersbourg y arrivait aussi le courrier qui apportait à M. de Meyendorf le projet de préliminaires russes. En remettant ce document à M. de Buol, le ministre russe le lui donna comme la réalisation des idées qu’il avait officieusement échangées avec le comte Orlof. M. de Buol lui demanda s’il le chargeait de le communiquer à la conférence. M. de Meyendorf répondit qu’il avait ordre de remettre simplement le document au cabinet de Vienne, qu’il n’était point autorisé à consentir à la moindre altération, ni même à entrer à ce sujet en pourparlers avec une conférence dont sa cour voulait ignorer officiellement l’existence, et qu’il appartenait en conséquence exclusivement au gouvernement autrichien de juger de la suite à donner à des propositions soumises à lui seul et à titre confidentiel. M. de Buol repoussa avec vivacité la position que cette déclaration tendait à lui faire ; le gouvernement autrichien n’acceptait pas le rôle intermédiaire qu’on voulait lui attribuer ; il était irrévocablement lié à la politique suivie en commun par les quatre puissances, politique définie par des actes diplomatiques adoptés de concert ; il ne pouvait par conséquent donner d’autres suites à la proposition qu’on lui remettait que celles qui avaient été tracées d’avance par les délibérations antérieures de la conférence. M. de Buol, en quittant M. de Meyendorf, convoqua la conférence et lui soumit les préliminaires russes. Le départ du courrier anglais fut retardé de trente-six heures, afin que le jugement de la conférence sur le dernier acte des négociations avec la Russie pût accompagner les sommations. La conférence examina les préliminaires russes dans sa séance du 5 mars, et les écarta par un jugement catégorique et motivé dont la reproduction nous dispensera d’apprécier nous-mêmes les dernières propositions du cabinet de Pétersbourg.