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au combat. C’est là, à vrai dire, le moment où la bataille changeait de face. L’armée russe n’était point vaincue encore, mais elle avait devant elle l’impassibilité anglaise et la fougue française. Devenu moins inégal, le combat se rétablissait par degrés, jusqu’à ce que la résistance des Russes fût brisée et se changeât en un mouvement prononcé de retraite, qui devenait bientôt lui-même une déroute sous le feu meurtrier de notre artillerie. La sortie de la garnison de Sébastopol, on le sait, avait le même sort ; elle était vigoureusement repoussée, et nos soldats arrivaient jusque sous les murs de la ville, où le général de Lourmel, entraîné par son ardeur, allait tomber mortellement frappé. Ainsi finissait cette journée. Ce qu’elle a eu de terrible, on peut le pressentir par les pertes des diverses armées. Cinq mille morts russes restaient sur le champ de bataille ; près de quinze mille hommes avaient été mis hors de combat parmi les soldats du tsar. Les armées alliées avaient environ cinq mille morts ou blessés. Les Anglais avaient trois généraux tués et cinq blessés. Dans nos rangs, le général Canrobert lui-même avait reçu une blessure. Il en résultait évidemment que, si les Russes étaient hors d’état de renouveler pour le moment leur tentative, les armées alliées étaient également dans la nécessité de ne point risquer témérairement un assaut avant l’arrivée de nouvelles forces. Expédier ces forces, c’est là maintenant le soin le plus pressant pour la France et pour l’Angleterre. Aussi des renforts sont-ils déjà partis et partent-ils chaque jour de nos côtes, outre le corps d’occupation de la Grèce, arrivé déjà sur le théâtre de la guerre. Deux nouvelles divisions françaises s’embarquent encore en ce moment pour la Crimée. L’Angleterre elle-même presse ses envois de troupes, et parait devoir porter son armée au chiffre de trente-six mille hommes. L’armée russe de son côté réparera ses pertes sans nul doute, et recevra de nouveaux accroissemens. Tout annonce ainsi des luttes prochaines, plus redoutables encore peut-être que celles qui ont eu lieu, et si l’illusion est dissipée sur la facilité de la prise de Sébastopol, la chute de la ville russe sera du moins le couronnement d’une campagne soutenue jusqu’ici avec la plus héroïque intrépidité.

C’est là la part de la guerre. La paix n’apparaît ici, on le voit, que comme le prix d’une série de nouveaux combats. Or cette paix, qui sera toujours chèrement achetée désormais, cette paix, que tout le monde désire et appelle, sortira-t-elle plus aisément des conclaves de l’Allemagne que de nos champs de bataille ? Telle est la question dont l’Allemagne croit avancer beaucoup la solution en rédigeant bien des dépêches et des circulaires, et en offrant au monde le spectacle de la plus prodigieuse élaboration diplomatique. Soit donc : l’Allemagne est parvenue, provisoirement du moins, à se mettre d’accord avec elle-même, c’est-à-dire que l’Autriche et la Prusse, après des dissidences très vives et très marquées, semblent avoir retrouvé un terrain commun pour agir d’intelligence et proposer les mêmes résolutions à la diète de Francfort ; mais sur quelles bases s’est rétabli cet accord ? Quelles sont ses conditions ? quelle est sa portée au point de vue de l’Allemagne et de l’Europe ? Les deux puissances allemandes, on le sait, étaient divisées sur des points politiques très essentiels, plus essentiels même, nous osons le croire, que ne le disait M. de Buol, quand il exprimait récemment l’opinion que l’Autriche et la Prusse différaient moins sur les principes que dans la manière d’appré-