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pays slaves de l’Europe centrale ? La Russie elle-même a trop bien éprouvé ce que valaient les forces intellectuelles de l’Allemagne pour ne pas reconnaître que le slavisme est destiné à recevoir par elle les lumières de la civilisation occidentale. Lorsque, de 1848 à 1850, la Russie s’opposa par tous les moyens imaginables à la formation d’une Allemagne unitaire, lorsque la Prusse défit elle-même l’œuvre qu’elle avait commencée, l’opinion publique éclata avec fureur de l’autre côté du Rhin contre cet empire hautain qui, après avoir exploité les ressources des états germaniques, cherchait à en rendre l’absorption plus facile en les empêchant de se rapprocher. Cependant ce n’est pas seulement dans le souvenir de cette campagne diplomatique de la Russie qu’il faut chercher le secret de l’antipathie que les Allemands manifestent aujourd’hui contre à cause du tsar. Cette antipathie a des racines plus profondes. En lisant la plupart des récens écrits politiques publiés en Allemagne, on acquiert la conviction que les Allemands voient dans la Russie la personnification de l’absolutisme, et dans les puissances occidentales les représentans de la civilisation et de la liberté humaine. Ils n’ignorent pas que, bien avant 1848, l’influence russe a retardé dans les pays germaniques le développement d’institutions libérales; ils ont suivi, avec une attention particulière, le développement de la crise d’Orient, et ils savent parfaitement de quel côté la guerre a été provoquée. La publication des documens anciens et nouveaux de la diplomatie russe réunis dans le Nouveau Portfolio et dans le recueil de M. Frédéric Paalzow,[1] vient puissamment en aide aux récriminations des Allemands contre la politique du cabinet de Saint-Pétersbourg. La fameuse dépêche secrète et confidentielle que M. Pozzo di Borgo, alors ambassadeur russe à Paris, adressa le 4-16 octobre 1823 au chancelier de Nesselrode, révolte encore actuellement la conscience des peuples germaniques. Le gouvernement autrichien n’a pu sans doute oublier ces paroles audacieuses : « Notre politique exige de nous d’agir énergiquement vis-à-vis de l’Autriche et de la persuader par nos préparatifs que, si elle fait un mouvement contre nous, une des tempêtes les plus terribles dont elle aurait jamais été menacée éclatera sur sa tête. » Ce document mérite qu’on le relise aujourd’hui en entier, ainsi que la circulaire secrète et confidentielle adressée aux agens diplomatiques du cabinet russe en Allemagne, et dont l’origine remonte à 1834. Le mémoire présenté à l’empereur Nicolas après la révolution de février par un fonctionnaire supérieur du ministère des affaires étrangères russe, qui fait également partie de la collection de M. Paalzow, et le mémoire du 10 février 1850, sont des pièces non moins curieuses. Ils respirent ce sentiment intime de toute-puissance, cette tendance à exercer particulièrement sur l’Allemagne une influence prépondérante qui ont fini par réunir contre la Russie la plus grande partie de l’Europe.

Les Allemands ne contestent pas que des deux grandes puissances qui se disputent la direction politique du corps germanique, ce ne soit l’Autriche qui ait le premier intérêt à entrer en lice contre la Russie. C’est l’opinion de M. Wolfang Menzel, auteur de la remarquable brochure intitulée : la Tâche de la Prusse (die Aufgabe Preussens). Un écrivain ultra-conservateur comme

  1. Aktenstücke der russischen Diplomatie. — Berlin, 1854.