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les maladies de mon cœur. Oui, Olympia, j’adore jusqu’à vos médisances. Votre post-scriptum, avec ses nouvelles à la main, c’est le ruisseau de la rue du Bac pour l’auteur passionné de Delphine ; il m’attendrit, il me ferait pleurer. Adieu l’Orient, adieu les houris ; je veux rejoindre la femme qui me parle, qui me tourmente, qui est faite non pas de ma chair, mais de la partie la plus délicate de mon âme, qui m’amuse comme une épigramme, qui me touche comme une élégie. Je veux retrouver Olympia ; je suis sûr qu’elle est toujours belle. Point de pays qui n’ait mille aspects émouvans avec le soleil ! avec l’intelligence, point de visage qui n’offre mille jeux charmans !

— Suivez vos goûts et vos destinées, dit alors Strezza ; Quant à moi, mon cher Hugues, je vais mieux. Nous sommes en août, je peux encore jusqu’en octobre faire figure passable en cette vie. J’écrirai à Osman-Pachaque je suis son locataire. Ce sera fort indifférent à ce vieillard. Quant à notre amie Aïsha Rosa, elle se montrera en cette circonstance assez turque pour ne point me haïr, assez chrétienne pour vous pardonner.

Les deux amis ont fait tous deux comme il avait été dit. Strezza est mort. Il repose aujourd’hui dans un joli cimetière, d’un aspect beaucoup plus musulman que chrétien, sous une pierre blanche, au pied d’un rosier. Avant de mourir, il a marié Aïsha Rosa à un prince grec. Quant à Claresford, il est auprès d’Olympia. Pour lui, la marquise n’a rien perdu. Bien loin de là, il trouve que sa beauté a pris quelque chose de fugitif, de vague, de mystérieux, qui donne un nouvel aliment à l’amour. Un seul connaît vraiment la grâce d’une femme, c’est l’homme qui passe sa vie à la contempler. Celui-là saisit maintes choses dont les autres n’ont pas le secret. Il a des révélations inattendues, des apparitions divines, et tout à coup il s’écrie : « La voilà ! c’est celle que je cherchais, celle que j’adore. » Aïsha Rosa, dit Hugues, dans toute l’écrasante réalité de ses charmes, ne vaut pas une seule des visions que me donne Olympia.

— Tout cela prouve, répondit la personne à qui ces choses étaient débitées, la puissance souveraine de l’idéal.

— Non, madame, cela ne prouve rien, si ce n’est ce singulier, ce fatal besoin, que nous ressentons à certaines heures, d’arracher aux profondeurs de notre âme, pour les produire au jour, des pensées qui pourraient dire à celui dont elles émanent, comme tant de créatures à Dieu : « Pourquoi nous as-tu tirées du lieu où nous reposions ? »


PAUL DE MOLENES.