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comme pour ceux qui regardent leurs œuvres, semble n’être qu’un passe-temps. Réveiller de grands souvenirs, élever les âmes par la représentation des actions héroïques, émouvoir par l’expression des passions, cela était bon pour les rêveurs, et la rêverie n’est pas à la mode. La peinture n’a guère d’autre souci que d’amuser, ou d’exciter la curiosité ; elle ne s’attribue aucune mission morale, et paraît oublier qu’elle doit s’adresser à l’intelligence en même temps qu’aux yeux, ou plutôt qu’elle ne doit parler aux yeux que pour parler à l’intelligence. Elle veut se faire réelle et se fait puérile ; elle sacrifie la pensée, le sentiment à la représentation des choses, et demeure sans action sur l’esprit de la foule. À Dieu ne plaise que je conseille à ceux qui tiennent le pinceau d’enfermer une leçon dans chacun de leurs ouvrages ! ce n’est pas ainsi que je comprends le respect de la pensée dans les arts du dessin ; mais sans procéder d’une manière dogmatique, ce qui serait insensé, la peinture peut choisir des sujets d’un ordre élevé, les traiter dans un style pur et sévère, habituer la foule à la contemplation de la beauté, l’affranchir pendant quelques instans des préoccupations mesquines, et prendre ainsi une part importante dans le gouvernement des intelligences. Qu’elle se complaise dans la représentation des actions héroïques, dans l’expression des sentimens généreux, et sans devenir dogmatique, elle agira sur les instincts de la génération nouvelle. L’amour du beau, l’amour du bien, ne sont pas si étrangers l’un à l’autre que l’ignorance s’est habituée à le penser. Que la peinture, qui est aujourd’hui puérile, redevienne sérieuse, néglige le joli et l’amusant pour s’attacher à la beauté : notre école se relèvera.


GUSTAVE PLANCHE.