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ne refusait point ses fruits aux sobres enfans de l’Égypte ; mais depuis ces derniers temps les fermiers sont devenus si durs ! Malheur à nous si nos chevaux ou nos ânes tondent dans un pré la valeur d’une poignée d’herbe !… Nous n’avons ce soir pour notre souper qu’un hérisson que nous avons trouvé dans les haies (hedgehog). C’est peu entre tant de monde. » À ces mots, une poule qui était cachée dans une des tentes protesta par un cri alarmé contre le mensonge de la vieille. La figure de la sibylle, prit une expression irritée ; elle jeta dans sa langue une malédiction sur le volatile. « Nous avons bien une poule, reprit-elle en appelant cette fois à son secours des gestes animés, mais nous la conservons pour le mariage d’une de nos filles. » Il est évident qu’on ne m’avait admis dans l’honorable cercle des gypsies que pour tirer avantage de ma présence. Je mis une couronne dans la main de la vieille. Le jeune garçon que j’avais rencontré sur la route fit semblant de courir à une ferme voisine et revint avec une poule noire dans ses bras, la même que j’avais entendue crier tout à l’heure, quoique le soleil fût couché. Il s’agissait maintenant de la faire cuire. Les gypsies ont pour cela une méthode particulière. On leva un pied carré de gazon, et l’on creusa un trou dans l’endroit découvert. Ce trou fut rempli avec du bois léger. Cependant on avait fait la toilette de la poule : cette toilette consiste simplement à lui enlever les entrailles et à la rouler avec toutes ses plumes dans une pâte d’argile. Ceci fait, on la déposa sur les bâtons, disposés de manière à prendre feu, et l’on replaça sur le tout la motte de gazon comme un couvercle. Cette méthode a plusieurs avantages : d’abord au point de vue culinaire elle est excellente, et ensuite elle a le mérite très grand, aux yeux des gypsies, de cacher les apprêts de leur dîner. Le fermier auquel avait été volé pendant la journée la poule que je venais de payer accourut sur ces entrefaites en grande fureur. On le reçut de sang-froid et poliment ; on lui permit de visiter le camp, de jeter un coup d’œil dans l’intérieur des tentes, et on lui laissa le loisir de se convaincre que ses soupçons étaient injustes, quoiqu’il eût marché une ou deux fois sur sa poule en train de rôtir. À peine le fermier était-il parti qu’on leva le couvercle de gazon, on retira la poule enveloppée dans sa croûte d’argile, qui se cassa ; on la dépouilla de ses plumes, qui se détachèrent aussitôt, et on la servit sur un plat de bois. Le chef de la bande tira de sa poche un formidable couteau et partagea le butin avec solennité. Ce fut ensuite le tour du hérisson de haie, qui fut cuit absolument de la même manière. Ce mets de gypsies ainsi préparé n’est point du tout à dédaigner. On enlève les poils et les piquans de la surface fumante de l’animal, quand on brise le vêtement d’argile.