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Celles des pratiques administratives qui blessent nos habitudes d’ordre les irritent moins, pourvu que les exactions ne dépassent pas une certaine limite. Quand la tribu a payé l’impôt, même après quelques coups de fusil, elle est libre, et chacun de ses membres reste maître de sa conduite. Le pouvoir n’intervient en rien dans leurs affaires. Pour n’être pas le nôtre, ce mode d’existence n’est pas dépourvu de toute raison, et la politique doit le comprendre, sous peine de s’égarer. Elle commettrait surtout une erreur énorme, si elle assimilait l’empire du Maghreb, depuis dix siècles formé d’élémens dont la diversité n’exclut pas l’accord, avec l’empire turc, où une minorité conquérante tient sous le joug par la force, et par la seule permission de l’Europe, une majorité de vingt peuples conquis, maudissant leur maître et toujours prêts à s’insurger.


II. - RELATIONS DU MAROC AVEC L'EUROPE; - LA POLITIQUE ANGLAISE; - LES OPERATIONS DE LA GUERRE.

Avant-garde de l’islam en Occident, le Maroc a de tout temps réfléchi, sous un jour particulier, la situation générale du mahométisme envers le christianisme. Pendant la période d’agression musulmane contre l’Espagne, du VIIe au XIIIe siècle de notre ère, il fut une place d’armes tournée contre la chrétienté : fantassins, cavaliers, généraux, navires, armes, il lança toutes ses forces au-delà du détroit. Lorsque, dans les siècles qui suivirent, la défaite de l’islamisme dans la Péninsule ouvrit l’Afrique elle-même à la réaction chrétienne triomphante, le Maroc se mit sur la défensive. Entamé d’abord par le Portugal et l’Espagne, il parvint à refouler entièrement l’un de ses ennemis, et à cantonner l’autre dans quelques petits postes. Plus tard, avec l’apaisement des haines religieuses, des relations pacifiques purent s’établir, sur l’initiative de la France et de l’Angleterre, entre le Maroc et la plupart des puissances continentales. Un point de rencontre amiable résultait naturellement de l’échange des esclaves faits de part et d’autre dans des courses maritimes qu’autorisait dès lors le droit de la guerre, et que ravivèrent, en les transformant en pirateries, les décrets impitoyables qui bannirent les Maures d’Espagne, en ne leur laissant que la mer pour théâtre de leurs vengeances. Des arrangemens commerciaux complétaient les transactions charitables. Dans ces négociations, le Maroc se prévalut si bien de sa position redoutable le long du détroit, que toutes les nations chrétiennes durent acheter la sécurité de leur navigation, les unes au prix d’un tribut en argent, les autres au moyen de régals d’une grande valeur, fréquemment renouvelés, qui déguisaient mal l’humiliation. Il fallut le canon de Mogador et d’Isly pour balayer ce