Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 24.djvu/950

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui restait de ces servitudes, comme il avait fallu, en 1830, le canon d’Alger pour les supprimer à l’égard de la Régence.

On devait espérer que cette double leçon, une des plus éclatantes que de nos jours la civilisation eût infligées à la barbarie, profiterait à la politique et au commerce de la France autant qu’à sa gloire militaire et navale. On y comptait lorsque, dans le traité du 10 septembre 1846, qui faisait revivre les conventions antérieures de 1767 et 1684, les hautes parties contractantes s’engageaient à procéder le plus promptement possible à la conclusion d’un nouveau traité qui aurait pour but de consolider et compléter les accords antérieurs dans l’intérêt des relations politiques et commerciales des deux empires ; mais, avant qu’aucune suite fût donnée à cet engagement, le gouvernement monarchique de la France était renversé. Sous le coup de plus urgentes nécessités, la république dut se borner à une répression locale d’un acte de piraterie commis en 1851 par les habitans de Salé. Le nouvel empire aussi était préoccupé d’autres soins ; si bien que, vers la fin de 1856, l’Europe apprit que M. Drummond Hay, le représentant de la reine Victoria au Maroc, avait conclu avec le sultan Abd-er-Rahman un traité des plus avantageux. On avait annoncé que l’Angleterre stipulerait au profit des nations chrétiennes ; la lecture du texte officiel constata qu’elle n’y avait pas songé. La France se trouvait dès lors devancée, et il ne lui restait, pour se rapprocher de la situation obtenue par l’habileté de son alliée, qu’à invoquer la clause de ses propres conventions qui lui assure le traitement de la nation la plus favorisée. Elle avait semé, d’autres avaient récolté !

Ne semblerait-il pas que le Maroc, rassuré du côté de l’Europe par ses traités nouveaux et anciens, dût enfin vivre en paix avec tout le monde ? L’empereur Abd-er-Rahman, rappelé à la prudence par le malheur de ses armes, le souhaitait vivement dans les derniers temps de sa vie : aussi traçait-il un cercle inviolable autour de lui, autant pour ne pas se compromettre avec les étrangers que pour se soustraire à leur odieuse influence. Son fils et successeur Mohammed, quelque rancune qu’il conserve de la bataille d’Isly, où il commandait en personne les bandes marocaines, suivra probablement la même ligne de conduite, aussi longtemps du moins que des compétiteurs lui disputeront le pouvoir dans le sud de l’empire. Mais les rois sont solidaires de leurs peuples. Régnant nominalement sur les territoires sans dominer les sujets et ne pouvant y établir l’ordre, les sultans du Maroc n’en sont pas moins responsables d’attentats qu’ils désavouent. Les états offensés poursuivent eux-mêmes leur vengeance : les plus modérés, comme la France, s’attaquent aux coupables seulement ; d’autres, comme l’Espagne, remontent des sujets au souverain lui-même. La France avait à se plaindre de la violation