Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 35.djvu/1013

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Nous raisonnons toujours ici dans l’hypothèse où nous nous serions nous-mêmes trompés dans les vœux optimistes que nous formions il y a deux mois, et où l’événement donnerait raison aux alarmes manifestées depuis quinze jours par la Banque de France. Si, malgré nos espérances persévérantes, la crise ne pouvait être conjurée, une grave discussion serait ouverte par les faits eux-mêmes sur la politique financière et économique du gouvernement. Les trois points principaux sur lesquels devrait porter cette discussion sont aisés à signaler. Ce sont l’exagération des dépenses, l’impulsion imprévoyante donnée aux travaux publics, aux démolitions et aux constructions dans les grandes villes, et l’absence de vues coordonnées dans la direction de notre politique économique. Sans doute, un accident tel qu’une mauvaise récolte devenant l’occasion d’une crise industrielle et financière est un effet des lois de la nature et ne peut être imputé à aucune responsabilité humaine ; mais un tel accident vient toujours mettre en lumière des fautes et des erreurs qui en aggravent les conséquences. Suivant que ces erreurs ou ces fautes ont été commises, le mal provoqué par l’accident ou s’atténue ou se complique. Le résultat naturel et immédiat de la crise est de constater un déficit, une rareté de capital. Or, si la crise surprend un pays où le capital a été prodigalement détruit par des dépenses improductives, la perturbation est plus profonde et entraîne de plus douloureux désordres. SI elle éclate à un moment où des encouragemens excessifs ont été donnés aux entreprises qui immobilisent les capitaux, c’est-à-dire qui agissent comme si elles en détruisaient la disponibilité actuelle, elle sévit avec plus d’intensité. Enfin, si c’est le gouvernement qui n’a pas su modérer ses dépenses improductives, si c’est le gouvernement qui a lui-même excité la spéculation au lieu de la contenir, la crise accuse l’imprévoyance du gouvernement et vient l’avertir sévèrement de la nécessité d’un changement de politique. Nous voudrions que les prévisions pessimistes qui ont cours à l’heure qu’il est fussent démenties par des faits prochains, nous désirons vivement cette fois en être quittes pour la peur ; mais en tout cas, nous l’espérons du moins, la leçon ne serait point perdue. Une fausse alerte seule suffirait pour nous apprendre combien il importe que l’accroissement continu de nos budgets ait un terme, combien il importe de cesser de détruire gratuitement des capitaux par des démolitions qui donnent une excitation artificielle à la spéculation des constructions, combien il importe de ne pas fausser les mouvemens de l’industrie et du commerce par des institutions de crédit privilégiées et factices, combien il est urgent enfin d’apporter dans le gouvernement des intérêts économiques de la France une pensée appliquée, qui ne soit point déchirée par des systèmes incohérens, qui soit nourrie des saines théories de la science financière, et qui ne soit point fermée aux conseils de l’expérience. Les nécessités financières et politiques ouvriront impérieusement un jour cette grande controverse ; nous savons bien à quelle conclusion elle nous mènerai Les intérêts matériels y acquerront la conviction qu’il n’y a point de bon gouvernement financier