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desse paysanne qui n’a pas besoin d’avoir appris la politesse des cours pour flatter à propos la puissance régnante. M. Dupin est une personnalité trop originale et trop vivante pour que l’on puisse rien prendre de lui en mauvaise part. Il a le droit de tout faire et de tout dire, parce qu’il s’appelle Dupin. Il a eu cette année une bonne fortune, c’est de pouvoir cogner du boutoir cette autre bonne dent qui s’appelle en Angleterre M. Roebuck. M. Dupin a rencontré là son semblable. Ses compatriotes accordent à M. Roebuck le droit d’être libéral et de flatter l’empereur d’Autriche, de suivre en politique, non pas, il est vrai, son intérêt, mais son caprice, et surtout de dire le mot cru et d’emporter le morceau. Si chaque année M. Dupin a son comice de la Nièvre, M. Roebuck a sa fête des couteliers de Sheffield. Si ces deux personnages prêtaient à la peinture, quelque Teniers de ce temps qui prendrait l’un discourant devant les paysans du Morvan, l’autre répondant au toast du maître coutelier de Sheffield, ferait les deux pendans à la satisfaction de quelque amateur parlementaire. Après avoir culbuté M. Roebuck et « la fable de la Sardaigne, » M. Dupin ne pouvait pas manquer, lui aussi, de dire son mot sur les chemins vicinaux. Là l’enthousiasme l’a transporté, et il a terminé sa harangue par une brève théorie de gouvernement qui serait bizarre, si elle devait être la péroraison de sa longue carrière politique : « Imperatoria brevitas ! — Prendre à propos des mesures de haute administration utiles et populaires, commander avec autorité et savoir se faire obéir, c’est là gouverner ! » Déroutée par une si énorme ellipse, la postérité se demanderait : Pourquoi donc aux cent-jours M. Dupin s’est-il opposé avec tant d’ardeur et tant de gloire à l’imperatoria brevitas du premier des Napoléonides ? Quoi ! si Charles X avait réussi dans son coup d’état et avait su se faire obéir, M. Dupin eût découvert quarante ans plus tôt ce qui s’appelle gouverner !

Faute de nouvelles et peu inventive en matière de discussions, la presse française s’est trouvée réduite à une chère si extraordinairement maigre qu’elle a trouvé moyen de la faire durer au moins quinze jours. Un pauvre journal officieux, mâchant à vide, comme ses confrères, la pitance que fournit la politique d’été, après avoir décrit toutes les grandeurs et tous les mérites de l’administration, avait eu l’héroïsme de se déclarer satisfait. Satisfait ! voilà un mot qui sonne mal depuis qu’il servit autrefois à désigner un parti dont les révolutions qui sont survenues auraient dû effacer l’impopularité. Il faut en vérité qu’il y ait dans les journaux libéraux des écrivains bien âgés pour qu’ils aient pu conserver une si sainte et si fraîche horreur contre ce mot fatal. Le journaliste qui a eu la maladresse de jeter cet os à ronger à ses adversaires a eu affaire à toute la presse de l’opposition, et nous ne savons si à l’heure qu’il est la bataille est finie. Allons ! nos amis ont fait fausse route. Le mot abominable qu’ils proscrivent encore ne porte pas malheur. Qui l’a inventé ? C’est M. de Morny, et voyez s’il a lieu de le regretter.