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les services qu’il rendit à la cause de la liberté et de l’humanité en Amérique, il suffira de dire rapidement en quel état il trouva la question : aujourd’hui, un an après sa mort, on sait en quel état il l’a laissée.


II

C’est aux États-Unis que pour la première fois dans le monde moderne, en 1751, l’esclavage des noirs fut aboli de fait et de droit sous l’inspiration d’un christianisme fervent et sincère ; mais cette abolition ne fut que locale. Le puissant souffle de liberté qui amena la guerre de l’indépendance conduisit la majorité des états de l’Union à l’abolir plus tard ; la confédération ne l’en laissa pas moins subsister dans les états qui se crurent forcés de le conserver. Le sentiment général était alors qu’il disparaîtrait de lui-même, du gré des états qui l’avaient maintenu, et surtout qu’il ne s’étendrait pas. C’est le contraire qui est arrivé. Le moment vint où le sud, ayant fait toujours dépendre ses intérêts particuliers du maintien de l’esclavage, se trouva placé dans l’alternative, ou bien de laisser tomber l’institution, ou bien d’obtenir du nord qu’il l’aidât à la consolider et à l’étendre, car l’esclavage ne peut pas durer entouré de pays libres. C’est une institution qui doit grandir ou mourir. L’industrie naissait dans les états libres : le sud s’engagea complaisamment, à titre de réciprocité, à favoriser des tarifs protecteurs. Bientôt le travail servile trouva grâce aux yeux des gros capitalistes de New-York et de Boston, parce qu’il produisait en abondance une matière indispensable à l’industrie, le coton, et parce qu’il consommait une grande partie des objets manufacturés. C’était aussi le même travail servile qui fournissait les gros chargemens de tabac, de sucre, de matières textiles, aux innombrables clippers du nord qui allaient ensuite les porter en Europe. En résumé, la conscience du nord dormait, et le mot d’ordre était donné pour qu’on ne la réveillât pas. C’est au point que dans les grandes villes les comités directeurs des églises enjoignaient aux prédicateurs de ne pas porter en chaire cette importune question. Il y avait sans doute d’honorables désobéissances à ces injonctions intéressées, mais elles étaient trop faibles pour constituer une opposition sérieuse. Enfin le sud avait réussi à représenter le sort de ses esclaves comme tellement heureux qu’on se demandait presque s’il n’y aurait pas une véritable barbarie à sacrifier une telle félicité au fanatisme de quelques chanteurs de psaumes, aux théories d’idéologues qui ne connaissaient pas les affaires.

Une chose toutefois contrariait vivement le sud. Chaque année et malgré les plus cruelles mesures de répression, un nombre assez