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Collard et Tocqueville. L’un et l’autre, avec de grandes différences, se ressemblaient sous plus d’un rapport. Tous deux sont des autorités ; tous deux, en se mêlant aux événemens et aux affaires, ont conservé le goût de l’observation et de la méditation. Ils ont réfléchi sur ce qu’ils ont fait, et sont restés des juges même en devenant des acteurs. Nous trouverons, en les comparant l’un à l’autre, une occasion naturelle d’indiquer la marche des faits et des idées entre le temps du premier et le temps du second, d’exhorter ceux qui ont l’âge et la force à leur donner des successeurs, à ne pas laisser le mouvement social auquel nous assistons manquer de spectateur et de juge. Chaque jour on voit disparaître ceux pour qui la révolution française, dans ses phases successives, a été un sujet inépuisable de méditation. La jeunesse y pense-t-elle et se met-elle en devoir de les remplacer ? Il faut l’espérer, mais rien ne saurait mieux l’encourager et la guider dans une tâche qui désormais la regarde seule que l’exemple des deux hommes éminens dont nous venons d’écrire les noms.


I

L’ouvrage que M. de Barante vient de consacrer à la mémoire de Royer-Collard atteint pleinement le but que l’auteur s’est proposé. Il fait connaître avec une exactitude parfaite la vie politique et surtout la vie parlementaire de l’homme illustre dont le nom a toujours été plus connu que la personne, et qui a laissé à ses contemporains un souvenir ineffaçable. La vivacité et je dirai même la grandeur de ce souvenir étonnent peut-être les jeunes gens. Ils croient le monde changé, et, supposant aisément que leurs devanciers ne les auraient pas compris, ils se dispensent de les comprendre. Cependant il y a dans tout ce qui est resté de Royer-Collard une originalité si saisissante que c’est apprendre déjà beaucoup qu’apprendre seulement à le connaître, et ceux qui le liront avec une intelligente attention s’étonneront moins de ce que nous pensons de lui. En liant quelques-uns de ses rares écrits et tous ses discours au récit critique des événemens qui les ont provoqués, M. de Barante a donné à ses deux volumes l’intérêt d’une biographie individuelle et celui d’une histoire politique. On peut, grâce à lui, entendre un passé qu’on ignore, et, suivant son usage, il a porté dans l’appréciation des choses et des personnes cette clairvoyance et cette liberté qui sont le grand mérite de ses écrits. Nul ne représente plus fidèlement ce qu’il a vu, nul ne laisse moins modifier ses jugemens sur le passé par les préoccupations du présent, grande source d’erreur