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absolue, car les preuves sont faites. S’il est évident que le pouvoir exécutif tient en ses mains les plus puissans ressorts de la gestion financière, qu’il peut ménager ces ressorts, les tendre ou les briser, le corps législatif est-il en droit de décliner la solidarité de la situation actuelle des finances et de l’obligation de recourir aux impôts pour faire face aux besoins accumulés et croissans? C’est là une question que chacun de ses membres peut seul résoudre dans sa conscience. Il est certainement beaucoup de choses que le corps législatif n’aurait pu empêcher. Quelques députés ont donné d’excellens conseils, d’autres ont fait entendre des plaintes, parfois de vives et éloquentes protestations; mais si le gouvernement a eu, dans de rares occasions, la prudente sagesse de retirer des projets de loi auxquels la majorité se montrait peu sympathique, je ne crois pas me tromper en disant que, depuis 1852, pas un vote négatif n’a écarté une mesure défendue avec insistance par les organes du gouvernement. L’adhésion a donc été constante, inébranlable et presque unanime, si ce n’est dans quelques circonstances rares et solennelles où les consciences se trouvaient engagées. En faudrait-il conclure que le corps législatif a tout approuvé ? Ce serait probablement aller trop loin, car on ne doit pas oublier que l’exercice de ses droits était fort entravé, et qu’il ne pouvait guère les affirmer que par une de ces résolutions extrêmes telles que le rejet d’un budget ou d’une loi tout entière, résolutions devant lesquelles ont reculé parfois en d’autres temps des majorités même décidées à ne plus continuer leur concours au ministère.

Lorsque le décret du 24 novembre 1860 fut rendu, à côté des espérances qu’il fit naître se manifestèrent les craintes qu’il inspirait. Les uns pensèrent que ce n’était pas assez, les autres que c’était trop[1]. Toutefois la position du corps législatif s’est trouvée assez

  1. Ce que j’écrivais alors me semble trop confirmé par l’événement, trop d’accord avec ce que je pense aujourd’hui, pour qu’il ne me soit pas permis de le rappeler :
    « Après tant de reproches (dont quelques-uns n’étaient pas sans fondement) adressés aux luttes oratoires, il aurait pu sembler plus naturel de rétablir les assemblées délibérantes dans leurs droits sur le règlement des intérêts que de leur restituer la faculté de faire des discours sur des questions générales dans des occasions solennelles. L’émancipation, commencée par le côté le moins brillant, mais le plus utile, aurait été mieux comprise et plus généralement approuvée. Relever la tribune sans rendre de droits réels à ceux qu’on appelle à l’occuper, c’est trop ou trop peu. Laisser les représentans du pays en face d’avocats-généraux d’une politique dont la responsabilité repose trop haut pour être mise en cause, ne serait-ce pas les convier à ces joutes stériles dont l’inutilité et les dangers ont été précisément invoqués comme justification de la condition réduite des assemblées délibérantes? Ce n’est pas à dire qu’il faille désespérer de voir des progrès intéressans et peut-être imprévus sortir de la prochaine session. Beaucoup de fermeté d’un côté, beaucoup de modération de l’autre pourront amener d’utiles résultats, et si la politique, la politique extérieure surtout, reste soustraite à l’influence salutaire des représentans du pays, ils pourront cependant rendre à la société, à la fortune de l’état des services dont l’occasion leur a manqué jusqu’à ce jour. » (Les Finances de l’Empire, — Revue du 1er février 1861.)