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sont séparés de ceux des femmes. Je n’ai entendu parler qu’avec éloge de l’hospitalité des religieux. Pendant le repas, un tchernicts ou religieux lit dans chaque salle aux hôtes la Vie des Saints ou quelques prières. Tout bohomolets a le droit d’être logé et nourri gratuitement les trois premiers jours; pendant ce temps, il prie, il se confesse, allume et tient les cierges, fait réciter au-dessus de sa tête des akathisti ou l’Evangile. Il y a un tarif pour ces divers exercices spirituels, mais les prix sont très modiques; la visite des tombeaux des saints Zosime et Savatyï se paie à part. Les trois premiers jours passés, le pèlerin, s’il reste plus longtemps, doit pourvoir lui-même à ses besoins et payer son logement. Nombre de personnes dévotes font le vœu de demeurer dans l’île sainte plusieurs années de suite, qu’elles passent dans des actes de dévotion et de pénitence. Les religieux accueillent volontiers de tels hôtes, mais à la condition qu’ils paient leurs dépenses, ou soient utiles au couvent par une occupation quelconque, comme ouvriers, jardiniers, etc.

Dès que la Mer-Blanche devient navigable, c’est-à-dire dès les premiers jours de juin, les pèlerins s’entassent à Archangel dans de petites barques appelées karbasses, qui les transportent à l’île sainte. Le prix de la traversée est minime; mais, à cause de l’incommodité et des dangers mêmes d’un assez long trajet par une mer d’ordinaire très agitée, beaucoup de bohomolets vont à pied d’Archangel le long du rivage jusqu’au promontoire situé en face même de Solovetsk, dont il n’est séparé que par un bras de mer d’une verste, et ce n’est que là qu’ils s’embarquent dans les karbasses. L’île n’est abordable que pendant les quatre mois de juin, juillet, août et septembre. Dès le commencement d’octobre, la navigation sur la Mer-Blanche est empêchée par la violence des vents et bien plus encore par les glaces venues de l’Océan polaire. D’octobre jusqu’à juin, le couvent ne reçoit plus aucun visiteur.

Chose étrange et qui ne manque peut-être pas d’à-propos, à côté même de cette maison de Dieu, les tsars ont élevé une maison à eux, — une prison mystérieuse dont les bohomolets me parlaient avec une terreur d’autant plus grande que personne n’en connaissait la destination. Quels peuvent être en effet les malheureux renfermés dans ce donjon? Ce ne sont pas des criminels ordinaires; ceux-là sont envoyés en Sibérie. Il est certain cependant que la prison de Solovetsk est habitée : des factionnaires et des gardiens y sont toujours à leur poste. On me racontait qu’il y a quelques années on y avait vu un vieillard à la barbe blanche, devenu aveugle à force de verser des larmes. Je ne prétends certes pas me porter garant de ce récit, quoiqu’il me fût répété par beaucoup de personnes; encore moins oserai-je garantir le secret qui m’a été chu-