Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 51.djvu/244

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

piquant contraste, ne déguisait pas son caractère d’homme moderne, et je ne sais s’il y a un spectacle plus curieux véritablement que celui de ce moine rentrant, par un discours sur la vocation de la nation française, dans cette carrière où il a pu paisiblement montrer sa robe de dominicain, et où il ne s’est arrêté qu’en 1853. Un mot a trompé sur Lacordaire, c’est ce mot d’ultramontain qui a couru toutes les polémiques. Ultramontain, Lacordaire l’était en ce sens qu’il poursuivait le vieux gallicanisme comme une forme usée et tyrannique de l’indépendance civile, comme la main-mise incessante du pouvoir sur la conscience; il ne l’était pas au sens de ceux qui ne font que déplacer l’absolutisme et qui dépouillent le caractère du citoyen pour ne dépendre que de l’omnipotence de Rome. A ses yeux, la liberté était la forme moderne, légitime, de l’indépendance civile, le gallicanisme nouveau et vivant. « Le gallicanisme ancien, écrit-il à M. de Montalembert, est une vieillerie qui n’a plus que le souffle et à peine; mais le gallicanisme instinctif, qui consiste à redouter un pouvoir qu’on lui présente comme sans limites et s’étendant par tout l’univers sur deux cent millions d’individus, est un gallicanisme très vivant et très redoutable, parce qu’il est fondé sur un instinct naturel et même chrétien... » Il y a des gens qui aiment encore mieux l’autre gallicanisme, royal et administratif, avec lequel il y a des accommodemens.

Ainsi s’est produit à la pleine lumière du siècle, dans la mêlée des mouvemens religieux de notre temps, un phénomène curieux. Tandis que de cette crise — qui s’est un instant résumée dans le nom de Lamennais — est sortie toute une école qui, en répudiant ce qu’il y avait de hardi et de rajeunissant dans ces doctrines, n’a accepté que ce qu’il y avait d’absolutisme caché, et a arboré l’idée ultramontaine comme un drapeau de guerre contre la société civile, il s’est formé une autre école qui, en restant fidèle à l’autorité religieuse, a gardé je ne sais quelle sève généreuse et libérale des premiers jours, dont Lacordaire a été une des plus brillantes, une des plus originales personnifications. C’est le nœud même de toutes les luttes religieuses contemporaines, et ici surgit une question qui est celle de tous les jours : quel progrès a fait véritablement cette idée du libéralisme catholique que Lacordaire a nourrie dans son âme, qu’il a répandue avec le feu de son éloquence ? De ces deux écoles, qui se sont trouvées, qui se trouvent encore en présence, quelle est celle qui a gagné le plus de terrain? Les doctrines absolutistes règnent visiblement; ce sont elles qui disposent du gouvernement des choses religieuses, qui deviennent provoquantes, qui ne craignent plus de soulever toutes ces polémiques au bout desquelles