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de tout engagement, se reposant dans sa prospérité et dans sa force, attendant les événemens, non pour y chercher l’occasion d’égoïstes entreprises, mais pour les faire tourner au profit de la paix et de la civilisation générale, ne revendiquant plus dans le projet évanoui du congrès que le souvenir d’une généreuse pensée philosophique qui sera enregistrée glorieusement par l’histoire, entièrement maîtresse de son action et désormais résolue à ne consacrer sa puissance qu’à la défense de ses intérêts et de son honneur. Nous voilà donc placés dans un grand intervalle. On a le droit de croire que demain ne ressemblera point à hier, et M. de Persigny lui-même, qui, malgré les qualités de son esprit, ne saurait point passer pour l’hiérophante enivré de la religion du progrès, a proclamé du haut de ses montagnes du Forez l’inauguration d’une ère nouvelle en des accens que nous renvoyait naguère l’écho sonore du Moniteur.

La discussion du budget, telle qu’elle a été conduite cette année, marque un avancement réel dans l’éducation politique du pays ; elle donne une idée de la salutaire influence que le corps législatif est appelé à exercer sur l’opinion publique et sur le gouvernement. Nous ne saurions essayer, quand même la prohibition des comptes-rendus ne nous inspirerait pas un juste effroi, de résumer cette vaste discussion. Nous nous bornerons à faire remarquer la méthode excellente qui s’est introduite dans le débat grâce à la justesse d’esprit et au talent de ceux qui y ont pris part. On a exploré tour à tour le budget des dépenses et le budget des recettes. M. Thiers a d’abord porté l’investigation sur les dépenses, et sur ce terrain il a rencontré dans M. Vuitry un interlocuteur instruit, exact, doué d’une parfaite lucidité de jugement et de parole. Dans l’examen des dépenses réside réellement le contrôle de la politique financière générale et de l’administration du pays. La dépense est ce que coûte le gouvernement : des deux élémens du budget, elle est celui qui s’établit en prévision avec le plus de fixité et de certitude, celui du moins sur lequel le gouvernement a le pouvoir le plus direct. Il y a dans le revenu quelque chose de plus éventuel, de plus aléatoire, de plus élastique, quelque chose qui dépend moins de la volonté gouvernementale, et qui demeure subordonné aux circonstances et aux conditions de la vie économique du pays. En délibérant sur les dépenses, on se trouve en présence des tendances du gouvernement ; en supputant les recettes, on se met en face des ressources du pays, on touche aux ressorts de sa richesse, on a devant soi le vaste champ des causes probables qui peuvent influer sur la marche de la fortune publique. Lorsqu’un homme d’état embrasse à la fois ces deux côtés de la question, lorsqu’il se sent d’une part aussi maître que possible de la dépense résolue, et que d’un autre côté, pouvant compter sur des ressources supérieures à la somme des frais de la gestion gouvernementale, il peut agir librement sur le revenu pour en employer les excédans soit à des entreprises fécondes, soit à des expériences sur les impôts, lorsqu’il possède ainsi la faculté de don-