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LE
JUBILE DE SHAKSPEARE
SOUVENIRS DE STRATFORD-SUR-AVON.

Il y a quelques années, l’Allemagne célébrait l’anniversaire de la naissance de Schiller avec un enthousiasme unanime. Il y a un mois, l’Angleterre voulait, elle aussi, célébrer l’anniversaire de la naissance de Shakspeare; mais les adversaires ne manquaient pas à ce projet. — A quoi bon, disaient les uns, choisir un jour particulier pour honorer la mémoire d’un écrivain que nous honorons tous les jours par la lecture de ses œuvres, dont nous avons tous retenu les plus beaux vers, et qui, avec la Bible, est pour chacun de nous le plus fidèle compagnon du foyer domestique? La renommée de Shakspeare a-t-elle besoin d’être renouvelée et rajeunie? Les fêtes que vous célébrerez en son honneur ajouteront-elles quelque chose à l’admiration universelle qu’il nous inspire? Nous feront-elles plus estimer ou mieux comprendre ses drames? N’est-il pas aussi lu, aussi admiré, aussi vivant qu’il l’a jamais été dans notre pays? Vos phrases, vos banquets, vos processions publiques, votre mise en scène, vaudront-ils jamais, pour la gloire du poète, l’enthousiasme sincère qu’éprouvent, en le lisant ou en assistant à la représentation de ses pièces, les hommes de tous les âges et de toutes les conditions, depuis l’étudiant d’Oxford qui se reconnaît dans Roméo ou dans Hamlet jusqu’à l’homme d’état qui retrouve ses désirs, son ambition, ses passions élargies et poétisées dans les rôles de Buckingham et de Wolsey, depuis la jeune fille qui croit savoir aimer comme Rosalinde, ou se dévouer comme Cordélie, jusqu’à la femme mariée qui se sent capable du courage de Catherine d’Aragon, de la patience d’Imogène ou des remords de Gertrude, depuis le soldat qui rêve batailles comme Hotspur jusqu’à l’épicurien qui dépense