Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 51.djvu/768

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que la lutte ne tarderait pas à recommencer, l’élément scandinave ne se soumettant pas, quels que fussent les efforts de son gouvernement, et l’élément germanique ne renonçant pas, à moitié chemin, ou au tiers du chemin, à son travail d’expansion, déjà couronné de succès.

En tout cas, l’avenir est très sombre pour le Danemark ; ce royaume est fort menacé dans son existence même, au cas où ses ennemis ne se laisseraient pas ramener à la modération. L’avenir est sombre aussi en vérité pour l’Allemagne, si un droit sens politique ne préside pas à ses conseils. Son facile triomphe a été rendu détestable par la manière dont le Slesvig, pris seulement en gage, disait-on, s’est vu traiter, par le bombardement de Sonderborg, par l’invasion du Jutland, entreprise sur un prétexte qui n’était pas avouable, enfin par la conduite des troupes alliées envers des populations inoffensives avant et pendant l’armistice. Sous l’apparent concert d’un tel triomphe, combien il y a chez les Allemands de divisions redoutables ! On se rappelle les invectives toutes récentes encore de M. de Bismark à l’endroit de la diète de Francfort, les dissensions en Holstein entre l’armée unie des deux grandes puissances et les troupes de la confédération, les rivalités des principaux chefs pendant la campagne, la soif de conquête que respiraient les ordres venus de Berlin, la passion plus contenue des états intermédiaires, l’embarras digne de compassion de l’Autriche en présence des succès de sa rivale, et surtout à la vue de ce calice d’amertume d’une proposition formelle de consulter les vœux des populations. Quel exemple et quel châtiment ! Au retour de la campagne, l’Allemagne ne retrouvera pas son apparente unité ; ils auront beau, Prussiens et Autrichiens, avoir porté le brassard blanc de 1813 : la lutte renaîtra pour l’hégémonie, pour le renouvellement du Zollverein, peut-être, qui sait ? pour la simple possession des dépouilles de la guerre. À qui appartiendront le Holstein, et Kiel, et Rendsbourg ? L’Europe laissera-t-elle une flotte et une forteresse fédérales ou prussiennes enchaîner la Baltique et asservir le Danemark, qu’elle aura prétendu sauver ? Le traité de Londres étant détruit, les droits de la Russie sur toute la partie gottorpienne du Holstein, qui comprend les ports de Kiel et de Neustadt, renaissent. Que la Russie ne les fasse pas valoir immédiatement, cela est possible ; mais qu’un prince d’Oldenbourg, c’est-à-dire d’une branche cadette de la maison de Gottorp, soit élu duc du nouvel état, et voilà le Holstein tout entier à la disposition du gouvernement russe ! Enfin l’avenir est sombre pour l’Europe elle-même : sa diplomatie n’a pas su prévenir, quand il en était temps encore, un débat qu’elle ne sait plus maîtriser après qu’il a éclaté ; son vieil équilibre ne sait plus où se prendre, à quels traités survivans ni à quels principes, et elle ne se sent pas la force de raffermir son droit public, de toutes parts si ébranlé. Puisse l’odieuse guerre qu’elle tente d’arrêter maintenant l’avertir de son propre péril, et conseiller aux uns l’énergie dans la justice, aux autres la modération !


A. GEFFROY.