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qu’il est presque mûre. Le véritable encouragement ici, c’est la liberté. L’art et la littérature véritables d’un temps sont ceux que ce temps fait vivre, car un temps n’encourage jamais que la littérature et l’art qui répondent à son sentiment et à ses besoins. Une telle littérature peut être fort mauvaise, si le siècle est mauvais ; mais c’est la littérature du siècle. Maintenir artificiellement et bon gré, mal gré, en dehors du public, des genres qu’il ne demande pas, est assez stérile, car cela ne produit jamais d’œuvre franche et vraie. Il arrive d’ailleurs presque fatalement que ces encouragemens, n’étant pas réclamés par les vrais artistes, qui trouvent leur récompense dans leur entente avec le goût public, ne vont qu’à la médiocrité, et contribuent à jeter dans les carrières intellectuelles des personnes sans vocation qui n’y voient qu’un métier.

Quoi qu’il en soit de ce point, sur lequel il faudrait encore éviter les solutions hâtives et trop radicales, on ne saurait nier que la culture supérieure de l’esprit ne constitue un véritable intérêt d’état. L’état a un intérêt de premier ordre à posséder des savans dans les sciences physiques et mathématiques. Ces sciences ont amené et amèneront encore des révolutions capitales dans la guerre, l’industrie, le commerce, l’administration. À l’heure qu’il est, il y a au monde deux classes de nations : les unes qui ont des savans, les autres qui n’en ont pas. Ces dernières sont aussi abaissées sous le rapport politique que sous le rapport intellectuel. L’Orient musulman a tenu tête à l’Occident et même l’a vaincu jusqu’au XVIe siècle, c’est-à-dire jusqu’à l’avènement de la science moderne. Le monde musulman s’est tué en étouffant dans son sein le germe de la science au XIIIe siècle. Ce que je viens de dire des sciences mathématiques et physiques, on peut le dire des sciences historiques. Ces sciences ne sont autre chose que la recherche des lois qui ont présidé jusqu’ici au développement de l’espèce humaine. Elles sont la base des sciences sociales. Sans elles, il n’y a que des esprits sans solidité, sans vivacité, sans pénétration. L’Oriental est inférieur à l’Européen, bien moins encore parce qu’il ne connaît pas la nature que parce qu’il ne connaît pas l’histoire. La grande cause de cette infériorité des États-Unis dont on a peine d’abord à se rendre compte, qui est réelle cependant, c’est l’absence de grandes institutions pour les choses de l’esprit, telles que les universités, les académies, les aristocraties intellectuelles de nos capitales européennes. Il n’est pas indifférent à l’état que les esprits soient universellement lourds et grossiers.

Ajoutons qu’en fait de science les objections qu’on peut opposer au rôle de l’état dans les choses de goût ne peuvent être reproduites. Il y a de graves inconvéniens à ce que l’état ait une opinion