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Si la France est trop lente à prendre la direction du mouvement libéral, on peut constater du moins avec plaisir que, parmi les états peu considérables ou nouveaux qui forment notre clientèle naturelle, il en est plusieurs qui ne se laissent point effrayer par la réaction despotique dont l’Europe est menacée. La Belgique en particulier vient de traverser sa crise électorale avec une énergie qui est un bon exemple, avec un bonheur qui est un encouragement aux libéraux de tous les pays. Le parti libéral vient de remporter en Belgique une victoire signalée. Réduit dans l’ancienne chambre à une majorité d’une voix, il gagne dans les élections une majorité de douze voix. Comme nous l’avions toujours pensé, l’étrange conduite du parti catholique durant la dernière session l’a discrédité devant le pays. Cette politique subtile et rusée qui consistait à refuser le pouvoir et à rendre le gouvernement impossible au parti libéral, cette politique avait abouti à une de ces sécessions qui sont une des plus graves fautes qu’un parti puisse commettre dans un gouvernement parlementaire. L’homme distingué qui dirige le parti catholique, M. Dechamps, a porté lui-même la peine de cette fausse manœuvre, et a perdu son siège à Charleroi. Grâce à cette remarquable, manifestation électorale, le pouvoir est confirmé aux mains du ministère de MM. Rogier et Frère-Orban, et la Belgique, un moment déconcertée par le hasard d’une balance numérique des partis au sein de la chambre, va reprendre l’exécution du programme libéral, énergiquement résolue à ne plus reculer dans sa voie. Nous le répétons, la Belgique, en faisant son choix avec cette netteté et cet éclat, rend en ce moment un grand service à tous les partis libéraux en Europe.

Il ne faudrait pas se méprendre sur la portée de l’approbation qui a été donnée par les grandes puissances aux arrangemens intervenus à Constantinople entre le prince Couza et la Porte. Au moment où le prince roumain a fait son coup d’état, l’Europe était trop préoccupée de la question danoise pour avoir à prêter une attention sérieuse à ce qui se passait dans les principautés danubiennes. On a trouvé plus commode d’accepter le fait accompli comme une situation provisoire à laquelle on avisera en temps opportun. Ce qui importe en attendant, c’est qu’en France la démocratie libérale ne prenne point le change sur ce qui se passe en Roumanie. La création de l’unité roumaine est une pensée de la démocratie libérale française, exposée, soutenue par des écrivains éminens, entre autres par M. Edgar Quinet. Il n’est pas permis de voir là réalisation d’une pensée démocratique française dans l’autocratie dont le prince Couza s’est artificieusement emparé. Le statut promulgué par l’hospodar supprime les deux principes du gouvernement constitutionnel : la responsabilité ministérielle et le vote régulier de l’impôt. L’hospodar n’enverra plus ses ministres à la chambre ; il y fera défendre ses projets de loi par des conseillers d’état. Le prince Couza n’est pas seulement un imitateur ; il profite de l’expérience des autres. Il a évidemment étudié la récente carrière de M. de Bismark. On sait toutes les tracasseries qu’a suscitées au ministre prussien l’opposition