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qu’elles présentent sont nombreux. Ainsi que l’a fait remarquer M. Passy dans son rapport sur l’ouvrage de M. Batbie, elles fonctionnent à la fois comme caisses d’épargne et comme banques d’avance. Elles offrent à l’ouvrier un moyen de placer sûrement le fruit de ses économies ; elles le mettent à même d’obtenir des prêts qui en dépassent le montant, et elles ont la plus heureuse influence sur son caractère et ses habitudes. L’obligation de verser des cotisations mensuelles le conduit à convertir en capital une partie de son salaire quotidien ; de plus la nécessité de trouver au besoin caution parmi ses pairs le force à mettre dans ses actes une scrupuleuse honnêteté, sans laquelle il n’inspirerait aucune confiance. Enfin l’action personnelle qu’il exerce sur la gestion de l’entreprise, en lui donnant le sentiment de la responsabilité, le relève à ses propres yeux.

Les résultats moraux sont ainsi plus importans encore que les résultats matériels, car ces derniers sont soumis à des lois économiques immuables et indépendantes de la manière dont les forces productives se combinent entre elles. Que la production en effet s’opère au moyen des associations ou du salariat, elle n’en exige pas moins deux élémens indispensables : le travail et le capital. Quand l’un des deux est en excès par rapport à l’autre, sa part dans la distribution des produits diminue relativement ; elle augmente dans le cas contraire. Si les capitaux disponibles sont peu abondans eu égard au nombre des travailleurs, le salaire de ceux-ci baisse, tandis que le taux de l’intérêt tend à s’élever. Ce dernier fléchit à son tour quand la quantité des capitaux à mettre en œuvre vient à s’accroître par rapport au nombre des premiers. Pour que la production puisse être portée à son maximum, il faut donc qu’il y ait dans le monde aussi peu de capitaux oisifs et aussi peu de bras inoccupés que possible, c’est-à-dire que toutes les forces sociales soient à la fois mises en action. Il faut en outre qu’il y ait entre ces forces un certain équilibre qui ne saurait être rompu sans de grandes souffrances. Or, s’il y a toujours beaucoup de capitaux inactifs, il n’y a pas moins de travailleurs qui cherchent l’emploi de leurs bras. Mettre les uns en rapport avec les autres, faciliter le rapprochement de ces deux élémens de production, tel a été le but de M. Schultze-Delitsch, et ce but a été plus qu’atteint, puisque les banques, par les économies qu’elles imposent aux ouvriers, contribuent elles-mêmes à la formation des capitaux qui sans elles eussent été gaspillés.

Ce qui prouve d’ailleurs combien ces banques répondent à un besoin réel et combien la conception en repose sur une idée juste, c’est le prodigieux développement qu’elles ont pris. Les premiers essais ont été tentés en 1850 à Delitsch, résidence de M. Schultze, et à Eulenbourg, petite ville voisine. Pendant plusieurs années, c’est à peine si l’on entendit parler, dans les environs, de ce nouvel instrument de crédit. Les ouvriers doutaient que des sacrifices aussi minimes que ceux qu’on leur demandait pussent donner des résultats appréciables ; quant aux classes élevées, croyant voir dans les banques nouvelles une œuvre de ce socialisme qui les avait