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se préparait à prendre la mer pour aller en Chine ; le consul anglais, soupçonnant qu’elle emportait un armement et allait se mettre au service de la Russie, communiqua ses craintes au ministre anglais à Washington, et bien que ces soupçons fussent fondés sur les indices les plus vagues, le vaisseau fut immédiatement saisi sur la dénonciation du ministre d’Angleterre par les agens des États-Unis et retenu jusqu’à ce que le consul anglais eût acquis la preuve que la barque Maury ne cachait point de canons à son bord et n’avait point une destination illicite. L’incident n’eut pas de suite, mais il n’en reste pas moins que l’Angleterre avait demandé l’application d’une loi des États-Unis contre un navire marchand, non armé en guerre, sur la simple supposition qu’il recelait quelques canons dans son chargement.

Si le pouvoir exécutif aux États-Unis s’est toujours montré prêt à faire exécuter strictement la loi, le pouvoir judiciaire a eu plusieurs fois occasion de l’interpréter dans des cas fort difficiles, et son interprétation n’a jamais été de nature à relâcher les liens de la neutralité. Il importe surtout de rappeler les décisions des cours américaines dans des affaires plus ou moins analogues à celle de l’Alexandra et des corsaires confédérés construits à Liverpool. Le foreign enlistment act) en Angleterre comme en Amérique, renferme une section minutieusement conçue (section 7 dans l’acte anglais, section 3 dans le statut américain), où le législateur n’a reculé devant aucune répétition, devant aucune superfétation de mots, afin de laisser moins de place à l’équivoque et de mieux rendre sa pensée. Il faut fermer les yeux à l’évidence pour ne point voir que la seule intention de fournir aux belligérans un vaisseau de guerre est déjà réputée coupable. Tous ceux qui ont connu cette intention, constructeurs, vendeurs ou acheteurs successifs du navire, intermédiaires qui le font passer des mains du constructeur à celles des belligérans, tombent également sous le coup de la loi. Dès que cette intention existe, la construction ou la vente d’un navire cesse d’être une opération licite. C’est dans cet esprit que les cours américaines ont toujours interprété la loi : elles n’ont jamais interdit aux citoyens américains de construire ou de vendre des navires quand ces ventes n’étaient qu’une simple opération commerciale ; mais quand à une opération financière se mêlait une pensée hostile à quelque belligérant, quand le vendeur fournissait sciemment une arme, fût-elle encore incomplète, contre une puissance amie des États-Unis, les juges américains n’ont jamais hésité à appliquer strictement la loi et à faire passer l’honneur et la sécurité de leur pays avant quelques intérêts particuliers. Trois procès, célèbres dans ses annales du droit maritime, nous fourniront la preuve de ce que j’avance,